samedi 3 décembre 2016

Fillon : Pétain dans les habits de De Gaulle ?


Les résultats des primaires de la droite sont donc tombés : François Fillon sera le candidat des Républicains à la prochaine présidentielle. Les commentateurs ont été nombreux à souligner que cette victoire surprise démontrait la soif de renouveau des électeurs de droite. On doit ici s’inquiéter une nouvelle fois de cette maladie grave et chronique qui semble frapper nos médias: l’amnésie ! En matière de renouveau, on peut se demander si cet homme 6 fois ministre depuis 1993 et qui fut 5 ans durant le premier ministre de Nicolas Sarkozy était vraiment le meilleur choix.

Une telle longévité force le respect tant elle a dû exiger de souplesse et d’habileté de la part de l’intéressé. Et incontestablement l’homme a ses subtilités : ainsi ce souverainiste affirmé vota contre Maastricht pour ensuite le regretter et ne trouva rien à redire au traité de Lisbonne et à la réintégration de la France dans l’OTAN. On aurait pu craindre que celui qui fut longtemps affublé du sobriquet « Courage Fillon » pâtirait d’une démonétisation de sa parole politique. Pas du tout ! Ce candidat « droit dans ses bottes » était selon certains le seul avoir un programme économique rigoureux et sérieux. On allait voir ce qu’on allait voir !

Le programme se veut conçu comme un « choc » de compétitivité qui permettra à la fois de redresser les finances et de faire baisser le chômage (voir le cadrage financier ici). Le début du quinquennat sera consacré à une baisse des charges sociales de 50 milliards compensées par une hausse immédiate de la TVA de 2% et un effort de réduction des dépenses de l’Etat de l’ordre de 100 milliards d’euros étalé sur 5 ans. Il s’agit d’un programme déflationniste qui pour 1 euro rendu en reprendra 2 mais dont les concepteurs espèrent que l’effet positif sur la compétitivité fera plus que compenser l’effet dépressif.

L’effet dépressif est un effet de court terme et est lié au problème du multiplicateur fiscal : quand l’Etat baisse ses prélèvements, cela a un effet expansionniste sur la croissance du PIB. Quand il baisse ses dépenses, cela a un effet dépressif. On estime normalement qu’un euro de prélèvement en moins a un effet expansionniste inférieur à l’effet dépressif d’un euro de dépense en moins. Cela s’explique par le fait qu’un euro dépensé par l’Etat est totalement dépensé alors qu’un euro rendu par l’Etat peut ne pas l’être entièrement, particulièrement s’il est rendu à une entreprise ou un ménage aisé. Il y aura notamment un effet de thésaurisation.

Dans le cas du programme de Fillon, l’effet déflationniste « net » est d’un montant de 50 milliards. Il convient donc de se concentrer particulièrement sur l’effet dépressif d'une baisse des dépenses de l’Etat. Ce sujet a fait coulé beaucoup d’encre en 2012 à la suite de la publication d’un rapport du FMI qui faisait le point sur les erreurs commises dans la mise en œuvre des politiques d’austérité au sein de la zone euro. Les programmes d’austérité avaient été calculés sur la base d’un effet multiplicateur de 0,5 (un euro de dépenses en moins entraine une baisse du PIB de 0,5 euro). Ô surprise, à la suite de la crise de 2008, les effets multiplicateurs étaient dans des ordres de grandeur bien supérieurs, le multiplicateur de l’Irlande était même supérieur à 2 !

L’origine de ces multiplicateurs élevés est facile à trouver : dans un contexte de croissance mondiale faible, dans un cycle de désendettement des acteurs économiques et dans le cadre de la mise en œuvre de réformes structurelles visant à flexibiliser les marchés du travail, la baisse des dépenses de l’Etat a un effet dépressif beaucoup plus important que dans un contexte normal. Ce contexte est en outre lourdement aggravé par le fait que les pays de la zone euro ne maitrisant plus leur politique monétaire, ils ne peuvent pas prendre de mesures monétaires expansives (comme une dévaluation) pour compenser les effets dépressifs d’une baisse des dépenses publiques. En se privant de l’absorbeur de choc que constitue la politique monétaire, les pays de la zone euro paient « cash » leurs politiques d’austérité sur le taux de croissance et le taux de chômage. Une culture historique solide aurait sans doute pu mettre la puce à l’oreille aux experts du FMI : l’effet désastreux d’une politique déflationniste en contexte de surévaluation monétaire est un classique des années 30.

Qu’attendre du programme de François Fillon ? En prenant des hypothèses prudentes d’un effet multiplicateur des dépenses de 1 et d’un effet multiplicateur des prélèvements de 0,8, Eric Heyer conclut que cette politique couterait 0,7% de croissance par an pendant tout le quinquennat. Avec des hypothèses légèrement différentes, Jacques Sapir estime l’effet dépressif à 1% par an. Cela veut dire une croissance extrêmement faible, probablement inférieure au seuil de croissance nécessaire à un début de baisse du chômage.

Il n’y aurait d’espoir à attendre que de l’effet à long terme d’une amélioration de la compétitivité. Or sur ce front, il y a toutes les raisons d’être pessimiste. Comme l’a dit récemment Patrick Artus: « les baisses de cotisation que proposent Fillon ne seront jamais assez fortes pour nous ramener au niveau espagnol : il faudrait pour cela supprimer toutes les charges ! Impossible ! » . On ajoutera d’ailleurs que la solidité du redressement espagnol est à modérer, les 3,2% de croissance obtenue en 2015 ont été surtout obtenu par un déficit de 5,1%... Autrement dit, l’Espagne se dope pour l’instant plus aux déficits qu’aux exportations… Et se paie le luxe d’un taux de chômage aujourd’hui supérieur à 18%...

En résumé, on ne peut qu’approuver les propos d’Alain Madelin : le programme de Fillon est une « caricature du libéralisme qui apparaît comme une purge patronale. C'est du Robin des bois à l'envers: prendre de l'argent aux pauvres pour le donner aux riches! ». On soulignera que si ce programme est appliqué, il a le potentiel d’être une très belle machine à faire monter le chômage vers de nouveaux sommets. Tout ça pour tenter d’adapter la France à ce cadre mortifère qu’est l’Euro et pour obéir aux demandes de l’Union Européenne. Avec Fillon, on peut se demander si on a pas inventé un nouveau credo : celui d’un souverainisme sans souveraineté et d’un catholicisme sans charité chrétienne. Un programme à l’image de l’homme que Jacques Chirac qualifiait d’ « indécrottable faux-cul » ?

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