La popularité relative de Donald Trump concentre beaucoup d’attention Outre-Atlantique en ce moment. Nombreux sont les commentateurs qui s’étonnent d’un tel succès pour un personnage si excentrique et si peu « crédible ». Ses déclarations fracassantes, notamment sur les mexicains, et son manque de sérieux ont fait s’étouffer plus d’un commentateur, d’où les interrogations sur son mystérieux succès (à relativiser tout de même).
A la vérité, Donald Trump n’est que le dernier représentant d’une figure qui s’est beaucoup affirmée ces dernières années en Europe et ailleurs : le candidat anti-establishment et populiste. Malgré sa fortune, Trump appartient bien à cette catégorie à laquelle on peut également rattacher des profils aussi divers que Bernie Senders aux Etats-Unis, Jean-Luc Mélenchon et Jean-Marie Le Pen en France, Nigel Farage au Royaume-Uni ou Peppe Grillo en Italie. Certains peuvent être sympathiques, d’autres moins.
L’existence de candidats populistes n’est pas chose nouvelle ni aux Etats-Unis ni en Europe. Si la crise de 2008 a clairement favorisé leur essor, il faut bien constater que les dynamiques à l’œuvre derrière ce phénomène sont bien plus anciennes que la crise. En France, Jean-Marie Le Pen se hisse au 2ème tour de la présidentiel dès 2002. En Italie, la longévité exceptionnelle d’un Berlusconi s’explique notamment par son coté provocateur et anti-politiquement-correct qui plaisait clairement à une partie de son électorat. De même, les triomphes du non au référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas traduisent une défiance latente et grandissante de l’électorat vis-à-vis de leurs « élites » politiques, économiques et médiatiques.
Bref, on sent monter une colère anti-establishment s’exprimant de façon différente mais toujours plus forte dans de nombreux pays développés depuis le début des années 2000. Le fait d’être déclaré incompétent par l’establishment peut même devenir un atout face à des électeurs qui pensent sérieusement à renverser le navire.
Il me semble qu’on a dans cette crise latente du monde politique occidental, une bonne mise en pratique du triangle d’incompatibilité politique pressenti de longue date par l’économiste Dani Rodrik (et affiné depuis). Pour faire simple, l’intégration toujours croissante des marchés mondiaux de capitaux, de marchandises et de services sous l’égide d’institutions internationales comme l’OMC ou le FMI (la mondialisation) est incompatible avec la souveraineté nationale ET la démocratie.
On peut avoir deux des trois mais pas les trois à la fois : la globalisation n’est compatible avec la démocratie que dans le cadre d’un Etat fédéral mondial, projet ô combien utopique. La souveraineté nationale et la démocratie ne peuvent se maintenir que dans un cadre de mondialisation restreinte et régulée (comme à l’époque de Bretton Woods).
Que donne la 3ème possibilité ‘souveraineté nationale + globalisation’ ? Je pense qu’on en a une idée de plus en plus nette aujourd’hui (j’en avais déjà un peu discuté dans un post précédent) : les partis de gouvernement de droite ou de gauche mènent des politiques économiques et sociales peu différenciées (pour ne pas dire identiques) et on s’efforce lors des campagnes électorales de créer un clivage assez artificiel sur les derniers terrains disponibles (les fameux sujets « sociétaux »). Les électeurs ont de plus en plus l’impression d’être pris pour des cons, particulièrement ceux qui ont le sentiment d’être les grands perdants de la mondialisation.
Nulle part plus que dans la zone euro, la contradiction entre démocratie et intégration économique n’a été poussée aussi loin. On a même vu des gouvernements de gauche tenter de présenter des politiques déflationnistes comme des politiques équitables et justes. Dans un tel contexte, le terme « crédible » en politique est difficile à attribuer…