mardi 11 août 2015

Donald Trump, Bernie Sanders, Jean-Marie Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nigel Farage, Beppe Grillo et tous les autres


La popularité relative de Donald Trump concentre beaucoup d’attention Outre-Atlantique en ce moment. Nombreux sont les commentateurs qui s’étonnent d’un tel succès pour un personnage si excentrique et si peu « crédible ». Ses déclarations fracassantes, notamment sur les mexicains, et son manque de sérieux ont fait s’étouffer plus d’un commentateur, d’où les interrogations sur son mystérieux succès (à relativiser tout de même).

A la vérité, Donald Trump n’est que le dernier représentant d’une figure qui s’est beaucoup affirmée ces dernières années en Europe et ailleurs : le candidat anti-establishment et populiste. Malgré sa fortune, Trump appartient bien à cette catégorie à laquelle on peut également rattacher des profils aussi divers que Bernie Senders aux Etats-Unis, Jean-Luc Mélenchon et Jean-Marie Le Pen en France, Nigel Farage au Royaume-Uni ou Peppe Grillo en Italie. Certains peuvent être sympathiques, d’autres moins.

L’existence de candidats populistes n’est pas chose nouvelle ni aux Etats-Unis ni en Europe. Si la crise de 2008 a clairement favorisé leur essor, il faut bien constater que les dynamiques à l’œuvre derrière ce phénomène sont bien plus anciennes que la crise. En France, Jean-Marie Le Pen se hisse au 2ème tour de la présidentiel dès 2002. En Italie, la longévité exceptionnelle d’un Berlusconi s’explique notamment par son coté provocateur et anti-politiquement-correct qui plaisait clairement à une partie de son électorat. De même, les triomphes du non au référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas traduisent une défiance latente et grandissante de l’électorat vis-à-vis de leurs « élites » politiques, économiques et médiatiques.

Bref, on sent monter une colère anti-establishment s’exprimant de façon différente mais toujours plus forte dans de nombreux pays développés depuis le début des années 2000. Le fait d’être déclaré incompétent par l’establishment peut même devenir un atout face à des électeurs qui pensent sérieusement à renverser le navire.

Il me semble qu’on a dans cette crise latente du monde politique occidental, une bonne mise en pratique du triangle d’incompatibilité politique pressenti de longue date par l’économiste Dani Rodrik (et affiné depuis). Pour faire simple, l’intégration toujours croissante des marchés mondiaux de capitaux, de marchandises et de services sous l’égide d’institutions internationales comme l’OMC ou le FMI (la mondialisation) est incompatible avec la souveraineté nationale ET la démocratie.

On peut avoir deux des trois mais pas les trois à la fois : la globalisation n’est compatible avec la démocratie que dans le cadre d’un Etat fédéral mondial, projet ô combien utopique. La souveraineté nationale et la démocratie ne peuvent se maintenir que dans un cadre de mondialisation restreinte et régulée (comme à l’époque de Bretton Woods).

Que donne la 3ème possibilité ‘souveraineté nationale + globalisation’ ? Je pense qu’on en a une idée de plus en plus nette aujourd’hui (j’en avais déjà un peu discuté dans un post précédent) : les partis de gouvernement de droite ou de gauche mènent des politiques économiques et sociales peu différenciées (pour ne pas dire identiques) et on s’efforce lors des campagnes électorales de créer un clivage assez artificiel sur les derniers terrains disponibles (les fameux sujets « sociétaux »). Les électeurs ont de plus en plus l’impression d’être pris pour des cons, particulièrement ceux qui ont le sentiment d’être les grands perdants de la mondialisation.

Nulle part plus que dans la zone euro, la contradiction entre démocratie et intégration économique n’a été poussée aussi loin. On a même vu des gouvernements de gauche tenter de présenter des politiques déflationnistes comme des politiques équitables et justes. Dans un tel contexte, le terme « crédible » en politique est difficile à attribuer…

samedi 1 août 2015

L’équilibre introuvable du fédéralisme


Le conseil des sages allemand vient de publier son dernier rapport (il conseille le gouvernement et ne parle pas en son nom). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il contient des propositions assez « décoiffantes », notamment :
  • Un mécanisme pour permettre aux Etats de la zone en difficulté de faire défaut sur leur dette
  • Un mécanisme pour  permettre à un Etat de sortir de la zone si nécessaire (il ne faudrait pas céder au chantage d’un Etat mauvais coucheur)

Il s’agit là d’un approfondissement de la volonté allemande (tout à fait compréhensible au demeurant) de ne pas voir l’argent du contribuable allemand pris au piège d’une union de transfert pour renflouer les autres Etats. Ces propositions sont tout à fait cohérentes avec les premières« avancées » fédérales réalisées dans le cadre de l’Union bancaire. Elles ont également paraît-il le soutien du SPD.

On sait que l’électorat allemand n’a aucune envie de « payer » pour les autres pays. On ne peut que le comprendre. Pour autant, cela ne veut pas dire que les élites allemandes n’ont pas un plan pour avancer vers une forme d’intégration renforcée.

Wolfgang Schauble a ainsi fréquemment proposé que les Etats acceptent de soumettre leur politique fiscale et économique à une autorité supranationale « impartiale » qui aurait pour vocation de faire appliquer à la lettre les règles de bonne conduite budgétaire et économique aux Etats européens, conformément à la philosophie ordolibérale allemande.

Une fois ce transfert de souveraineté effectué, les Etats « laxistes » n’auraient qu’à bien se tenir. Comme Schauble l’a souvent répété, le problème de la Grèce n’est pas le traitement que lui a infligé la Troika mais le fait que le patient ait mal pris le médicament en ne menant pas à leur terme bon nombre de réformes structurelles. De même, la France gagnerait selon lui à ce quelqu’un force le parlement français à voter les réformes nécessaires. On se demande comment des électorats  nationaux pourraient accepter durablement un pareil traitement.

Cela dit, la question est posée de savoir si en acceptant cette contrainte, les Etats du sud obtiendraient des Etats du nord des avancées significatives en matière d’union de transfert. Les premiers pas de l’Union bancaire laisse à penser qu’il ne faudrait surtout pas se leurrer : l’union bancaire a permis de poser un cadre supranational crédible s’appuyant sur la BCE pour superviser les banques. Cela a pourtant accouché d’une souris en matière de solidarité financière, décrédibilisant ainsi tout l’édifice de l’Union bancaire (pas d’assurance des dépôts au niveau européen notamment). Le rapport récent des sages allemands donne également un avant goût des lignes sur lesquelles se feraient ces négociations. Il faut bien constater que la philosophie ordolibérale allemande donne de nombreux prétextes à la défense d’intérêts nationaux bien compris (et à vrai dire tout à fait légitimes) : on prétend responsabiliser les autres pays mais on se garde bien d’ouvrir les cordons de sa propre bourse. Bref, le bâton sans la carotte.

Les populations de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de la France pesant presque 60% de la zone euro, il est également probable que si un parlement de la zone euro était instauré pour compléter le nouveau dispositif, les pays du nord feraient leur possible pour le cantonner à un rôle décoratif (en le privant par exemple de l’initiative législative et du contrôle de l’impôt comme c’est déjà le cas pour le parlement européen aujourd’hui) pour éviter que l’union de transfert ne s’accentue à leur dépens.

Si la ligne des pays du nord et de l’Allemagne venait à s’imposer (ce qui est le cas à l’heure actuelle), on assisterait à une intégration qui accentuerait gravement le caractère non démocratique de la zone euro et se bornerait à une union de transfert limitée au minimum. Cela voudrait dire une mise entre parenthèse de la démocratie dans les pays du sud et probablement leur appauvrissement définitif. On imagine mal un tel processus aller à son terme.

Dans le même temps, on imagine mal que l’électorat des pays du nord serait prêt à céder s’il se produisait une forme de rébellion des pays du sud. L’absence de sentiment de solidarité et d’appartenance commun rendrait insupportable toute accentuation de l’imposition des pays du nord au niveau nécessaire pour assurer l’avenir économique des pays du sud. On ne voit pas non plus un tel processus aller à son terme.

Ne reste plus alors qu’une dissolution de la zone, concertée ou non.