Historiquement, force est de constater que ces craintes, qui sont aussi anciennes que le capitalisme lui-même, se sont révélées sans fondement. A son époque, Alfred Sauvy les dénonça sans relâche en expliquant que les gains de productivité résultant du progrès technique permettaient un transfert d’emplois vers de nouveaux secteurs et non leur destruction définitive. Bien sur, cela ne veut pas dire qu’il en sera toujours ainsi dans le futur.
Economiquement, ce qui se cache derrière ce débat est la question de l’élasticité de substitution entre le capital et le travail, c’est-à-dire la capacité à pouvoir remplacer plus ou moins facilement du travail par du capital quand l’opportunité financière se présente. S’il y a une tendance à la baisse du prix du capital (des robots de moins en moins chers par exemple) et que les possibilités de substitution ne cessent de se développer, on va ainsi assister à une augmentation du stock de capital et de sa part dans le revenu national au détriment de la rémunération du travail.
Il se trouve que c’est précisément ce qu’on constate dans les pays développés depuis de nombreuses années. Dès lors, il est tentant d’en déduire que la vague de robotisation a déjà commencé. Cela dit, comme l’ont noté bon nombre d’économistes, on s’attendrait alors à une accélération des gains de productivité or c’est précisément tout le contraire qu’on constate dans les pays développés. On peut donc probablement considérer les inquiétudes actuelles comme un peu prospectives et « futuristes ».
Le problème, c’est qu’on aurait aimé que les économistes témoignent d’autant d’esprit d’anticipation pour s’inquiéter d’un phénomène de substitution beaucoup plus évident: la substitution d’un travailleur d’un pays contre celui d’un autre pays, de préférence où le coût du travail est moins élevé. En ouvrant toujours d’avantage leurs économies, les dirigeants des pays développés ont multiplié les opportunités de substitution avec un facteur de production qui, lui, est parfaitement substituable au travailleur local.
Il est évident que cela a renforcé le pouvoir de négociation des « capitalistes » au détriment de celui des salariés au cours des dernières décennies. La mondialisation rend probablement mieux compte des phénomènes de stagnation économique et de l’évolution du rapport capital / travail que tout autre théorie.