vendredi 19 août 2016

Aux origines du Brexit


J’ai profité des vacances pour lire La Grande Dissimulation de Christopher Booker et Richard North. Le livre retrace l’histoire de l’Union Européenne pris du point de vue britannique jusqu'au référendum de 2005 environ. L’ouvrage est évidemment riche en partis pris mais a le grand mérite d’offrir une perspective qui éclaire de manière limpide le résultat du Brexit.

On réalise tout d’abord qu’un référendum sur l’appartenance à L’union est en fait une tentation récurrente dans la vie politique britannique. Avant David Cameron, même Tony Blair avait déjà été tenté de dramatiser les enjeux et de transformer le référendum sur la constitution européenne en un referendum sur l’appartenance à l’Union (« l’option nucléaire » selon ses conseillers). Pour son équipe, cette question était la seule qui avait une vraie chance d’obtenir une réponse positive lors d’un référendum sur l’Europe. Cela en dit long sur le malaise de la Grande-Bretagne vis-à-vis du projet européen.

L’origine de ce malaise est d’ailleurs facile à trouver : dès la création de la communauté du Charbon et de l’Acier, les britanniques souhaitaient se tenir à l’écart d’un projet qui mettait en cause leur souveraineté et qu’ils considéraient comme non-démocratique dans ses fondements. La composante supranationale du projet se heurtait à la tradition britannique de la souveraineté du parlement et de la responsabilité devant le peuple. On notera au passage qu’il est un peu gênant pour le projet européen que ce soit le pays qui ait inventé la démocratie libérale moderne qui ait exprimé dès le début les plus fortes réserves sur ce projet...

Les choses changèrent dans les années 60 quand, confrontées à la mauvaise performance relative de l’économie britannique, les classes dirigeantes du Royaume-Uni virent l’adhésion à la communauté européenne comme le moyen de dynamiser l’économie du pays. Le péché originel de cette adhésion est qu’en son cœur résidait une contradiction (l’attrait pour les avantages économiques attendus du projet européen d’un coté, le refus solidement ancré de participer à un projet supranational de l’autre) qui fut résolue en faisant passer des vessies pour des lanternes aux électeurs lors du référendum de 1975. Soit disant, il s’agissait d’adhérer à un marché commun et non à un projet de construction d’un super-Etat fédéral.

Quand le camp du Remain accuse le camp opposé de mensonges, il passe chastement sous silence 40 ans de mensonge, d’hypocrisie et de malhonnêteté. Cela fait tout de même beaucoup… Voilà comment le Times décrivait les débats anglais sur l’Europe en 2003 : « On nous nie tout d’abord qu’un plan radical existe ; on concède ensuite qu’il existe mais les ministres jurent leurs grands dieux qu’il n’est même pas dans les programmes politiques ; puis on note qu’il est peut-être dans les programmes mais pas dans la rubrique des propositions sérieuses ; puis on reconnaît que c’est une proposition sérieuse mais qu’elle ne sera jamais appliquée ; ensuite, on admet qu’elle sera mise en œuvre mais sous une forme tellement atténuée que cela ne fera pas la moindre différence dans la vie des gens ordinaires, avant que l’on n’arrive finalement à la conclusion qu’elle a causé de profondes mutations mais qu’on l’avait toujours su et que les électeurs en avaient été informés dès le début. » Bref, le parfait manuel de celui qui veut prendre les gens pour des cons…

En posant la question de l’appartenance à l’UE, Cameron posait en fait la seule question qui pouvait réconcilier la Grande-Bretagne avec le projet européen. Il pouvait rationnellement espérer que les gains économiques perçus de la présence dans l’UE ainsi que la peur du saut dans l’inconnu suffiraient à tenir en échec l’envie de « reprendre le contrôle ». Il y avait malheureusement 2 erreurs dans ce calcul : 1) il était déjà trop tard : la crise grecque a sans doute convaincu plus d’un électeur britannique que le « déficit démocratique » de l’UE était au minimum une énorme litote 2) l’effet de la globalisation sur la société britannique : il est tout de même difficile de convaincre les vastes segments perdants de la société britanniques que les 30 dernières années ont été formidables grâce à l’Europe…

Certains ont alors expliqué que le néolibéralisme thatchérien et la globalisation n’avait rien à voir avec l’Union Européenne. Voilà qui est gonflé. L’Union Européenne, par ses 2 principaux projets que sont le marché commun (les 4 libertés économiques et la concurrence libre et non faussée) et l’Union Monétaire, est la pointe la plus avancée de l’hyper-globalisation. Aucun autre espace économique au monde n’a réalisé à ce point ce qui est l’objectif suprême de la globalisation : la suppression de tous les coûts de transaction et la liberté totale de circulation entre pays. Cette intégration économique entre pays a engendré en retour une désintégration des corps sociaux, résultat parfaitement prévisible et d’ailleurs prévu par la théorie économique la plus standard (voir par exemple les écrits de Dani Rodrik dans les années 90).

Le Brexit met donc un terme au supplice que fut pour la Grande-Bretagne sa présence dans l’Union Européenne. Son résultat final dépendra de ce qu’en feront les britanniques. L’histoire politique du pays étant riche en exemples d’adaptation pragmatique, on peut être raisonnablement optimiste pour la suite. Les premiers pas de Theresa May et son recentrage sur la définition d’une nouvelle politique industrielle semblent d’ailleurs de bon augure. Qui sait ? Peut-être la Grande-Bretagne donnera-t-elle raison à cette prédiction de Margareth Thatcher : « Qu’un projet si irrationnel et si inutile que celui de la création d’un super-Etat européen ait été conçu apparaitra dans les années futures sans doute comme la plus grande folie de l’ère moderne. Et que l’Angleterre, avec ses forces traditionnelles et son destin mondial, ait jamais pu devenir part de cette conception apparaitra comme une erreur politique de première ampleur ». Ce ne serait jamais que la 2ème fois que la Grande-Bretagne donnerait le coup de grace à une grande institution internationale, elle l'avait déja fait avec l'étalon-or en 1931...