mercredi 11 novembre 2015

Les drôles de remèdes à l’instabilité financière


Stephen Roach a récemment publié une tribune dans laquelle il s’inquiète des politiques monétaires menées par les banques centrales. Selon lui, ces dernières accordent trop d’importance au pilotage des taux d’inflation et ce faisant négligent les risques d’instabilité financière. Il constate qu’au cours des années 2000, les faibles taux d’inflation ont été concomitants de bulles financières massives dans plusieurs pays développés.

Cette ligne argumentative le conduit à préconiser une normalisation de la politique monétaire aux Etats-Unis le plus vite possible. On ne peut que partager les inquiétudes de l’auteur sur les risques d’instabilité financière. Par contre, on peut s’étonner du refus d’analyser les causes réelles derrière la multiplication des bulles financières ces dernières décennies. Elles tiennent surtout à deux causes évidentes et lourdement établies : la dérèglementation et la liberté de circulation des capitaux.

On peut même comparer l’histoire récente de la finance mondiale à un bateau qui tangue de plus en plus fortement sous les flux et reflux des mouvements de capitaux. On propose ici un rapide rappel historique (et sans vouloir être exhaustif):

Le coup d’envoi de la dérégulation fut donné en 1980 et s'accéléra après que Paul Volcker eut spectaculairement augmenté les taux d’intérêts pour « mater » l’inflation aux Etats-Unis. Il s’en suivit une guerre cruelle entre les différentes institutions financières américaines pour retenir l’argent des épargnants et des investisseurs.

Des acteurs comme les Saving & Loans n’ayant pas le droit de rémunérer leurs dépôts au-delà de certaines limites, le gouvernement américain décida de déréguler le marché pour leur permettre de combattre à armes égales. Les résultats ne se firent pas attendre. En encourageant une concurrence de plus en plus féroce, le gouvernement encouragea les institutions financières à une prise de risque sans cesse accrue pour proposer les meilleurs rendements. Cela se termina par la gigantesque débacle des Saving & Loans.

Fières de ces brillants débuts, les institutions internationales encouragèrent les pays émergents à déréguler et ouvrir leur secteur bancaire au capitaux internationaux. Une nouvelle fois les résultats furent au rendez-vous avec la crise asiatique de 1997 suivie de peu par les crises russes et brésiliennes de 98 et 99. Le rapatriement massif de capitaux vers les pays développés qui s’en suivit tomba juste à point pour alimenter le brasier de la bulle des nouvelles technologies qui explosa si spectaculairement pour fêter le nouveau millénaire.

Bien sur, le clou du spectacle était encore à venir avec les judicieuses innovations financières des années 2000 qui permirent à la finance américaine de refourguer des prêts pourris au quatre coins de la planète dans l’opacité la plus totale. Ce phénomène fut d’ailleurs aggravé par l’obsession pour l’accumulation de réserves de devises des pays asiatiques qui, échaudés par les humiliations et les avanies infligées par les institutions internationales à la suite de la crise de 97, se jurèrent de ne jamais se retrouver dans la même situation. L’économie mondiale s’en trouva durablement déséquilibrée.

Alors, plutôt que de proposer de jeter des seaux d’eau glacée à un malade brulant de fièvre, ne serait-il pas plus utile de traiter les causes profondes du problème avec les médicaments appropriés ? En n’hésitant pas à froisser quelques intérêts bien entendu…

samedi 7 novembre 2015

France et Etats-Unis : les deux faces d’une même pièce


Il est fréquent d'opposer la France aux Etats-Unis. Après tout, les 2 pays ont des modèles économiques et sociaux si différents qu'on aurait du mal à leur trouver beaucoup de similitudes. Ils partagent pourtant un point commun: ces deux pays représentent des sociétés de naufragés de la mondialisation.

Aux Etats-Unis, le rouleau compresseur de la globalisation a eu pour principal effet de faire exploser les inégalités de revenu. Les emplois industriels relativement bien payés se sont volatilisés au profit de petits boulots précaires et mal rémunérés pour les travailleurs peu qualifiés. Ce phénomène a également frappé des travailleurs plus qualifiés, les opportunités d’offshoring ne cessant de progresser au cours des années 2000. Le salaire médian réel est ainsi au même niveau qu’à la fin des années 80 : plus de 20 ans de stagnation.

En France, les travailleurs les moins qualifiés ont connu le chômage de masse sous l’effet d’un coût du travail et d’un salaire minimum trop élevés par rapport à ce qu’exigent les règles du jeu de l’économie mondialisée. En compensation, ils bénéficient du filet de protection d’un Etat-providence plus généreux qu’aux Etats-Unis.

Dans ces deux pays, la liberté de circulation des capitaux permet à la « caste des intouchables » (pour reprendre l’expression d’Alain Cotta) et aux grandes entreprise d’échapper largement à l’impôt. En France, la contrepartie a été un écrasement fiscal des classes moyennes et des petites entreprises pour financer un Etat-providence qui ne parvient pas à compenser les dégâts collatéraux de la mondialisation.

La conséquence pour ces deux pays est un climat politique et social malsain, pouvant potentiellement devenir incontrôlable. Une étude récente d’Angus Deaton dressait le constat édifiant d’une hausse de la mortalité aux Etats-Unis pour les blancs pauvres atteignant la cinquantaine. Les causes derrière ce surcroit de mortalité sont effrayantes : alcoolisme, addiction médicamenteuse et suicide. C’est le reflet de milieux sociaux détruits et désespérés qui canalisent leur haine en votant pour des candidats républicains de plus en plus loufoques. La France périphérique de Christophe Guilluy offre un visage moins dévasté mais le désespoir et la colère sont bien présents et se manifestent au travers du vote FN. En face de cette révolte d’en-bas, se coalisent une classe politique et des lobbys cherchant à promouvoir un agenda qui exacerbe les tendances centrifuges des sociétés qu’ils gouvernent.

L’économie américaine a échappé tant bien que mal à la stagnation grâce au renouvellement régulier de bulles financières pour combler le déficit de demande engendré par l’explosion des inégalités. En France, l’économie a lentement stagné sous le poids croissant de l’Etat et du manque de compétitivité.

Finalement, la France et Etats-Unis se ressemblent beaucoup : deux sociétés malades de la mondialisation où les mesures habituelles de bien-être que sont le plein emploi et la croissance du PIB ne veulent plus dire grand chose. N’est-ce pas d’ailleurs le cas de tous les pays développés ?

samedi 24 octobre 2015

L’économie du partage ou l’économie de la débrouille et du recyclage


Il est très « hype » en ce moment de parler de « l’économie du partage » et de la révolution du peer-to-peer. Covoiturage, crowdfunding, mise en commun des savoirs… Certains voient même venir la fin du capitalisme et l’avènement d’une société nouvelle. Alors, cherche-t-on encore à nous faire passer des vessies pour des lanternes ?

Tout d’abord, comme l’a très bien relevé Frances Coppola, dans la plupart des exemples couramment cités, le terme « partage » est un langage très mensonger puisqu’il y a en fait une transaction financière entre les deux partis. On est loin d’un échange désintéressé. On pourrait également dire de même avec le terme « peer-to-peer ». Dans le cadre du crowdfunding par exemple, on a affaire à un marché où il n’y a pas d’égalité réelle entre les deux partis : il y a un prêteur et un emprunteur. Le terme « peer-to-peer » permet de dissimuler habilement cette asymétrie fondamentale.

Ce que font ces plateformes, c’est essentiellement favoriser la vente (e-bay), le prêt d’actif (AirBnB) ou la réalisation d’une prestation de service (blabla car) entre particuliers, le tout contre rémunération. Ce sont avant tout des marchés du recyclage et de la débrouille. Si on veut voir le verre à moitié plein, on peut considérer que la création de ces marchés secondaires contribue à une meilleure utilisation du capital existant et donc à réduire les gaspillages. Si on veut voir le verre à moitié vide, on notera qu’une économie où se développent de tels marchés renvoie plutôt l’image d’une économie stagnante où la débrouille se développe pour faire des économies ou combler les fins de mois.

Alors, tout cela est-il vraiment révolutionnaire ? Quand on parle de l’essor du peer-to-peer, j’aime bien rappeler que cela n’est que l’aboutissement d’un long processus commencé depuis les années 70s : celui de l’effondrement progressif des coûts de transaction sous l’effet de la révolution des nouvelles technologies (lire l’excellent livre de Jean-Jacques Rosa sur le sujet).

Pour que des échanges économiques puissent avoir lieu, il faut que toute une série de conditions soient réunies (sécurité des biens et des personnes, Etat de droit, coût des transport, accès à l’information…). C’est l’état de ces conditions qui rend possible ou non la réalisation de transactions par les acteurs économiques. Les nouvelles technologies en facilitant considérablement l’accès à l’information ont contribué (parmi d’autres facteurs) à fortement abaisser les coûts de transaction. Un monde aux faibles coûts de transaction est un monde où le « petit » est favorisé par rapport au « gros » qui, lui, a tous ses coûts de structure à supporter. On vit donc une époque où s’estompe le monde « vertical » des grandes hiérarchies au profit du monde « horizontal » des relations de marché.

Incontestablement, internet a donné une nouvelle dimension à la baisse des coûts de transaction et a ainsi permis l’essor de l’univers du peer-to-peer. Mais il ne faut pas se leurrer : pour avoir quelque chose à vendre ou à échanger, faut-il encore l’avoir produit. Et la production reste toujours l’apanage du monde des entreprises, petites ou grandes. L’univers du peer-to-peer reste avant tout un marché de l’occasion. Il est difficile de penser qu’il puisse porter une révolution aussi profonde que certains nous l'annoncent. 

samedi 17 octobre 2015

Les nouvelles camisoles en préparation : les traités de partenariat transpacifique et transatlantique


On aurait pu croire que face au discrédit croissant qui les frappe, les élites politiques des pays développés auraient tenté de répondre aux causes profondes de ce discrédit ou au moins qu’elles se seraient montrées plus prudentes face au mécontentement profond des populations. Malheureusement, force est de constater qu’il n’en est rien et que c’est même tout le contraire. S’appuyant sur le même logiciel intellectuel qui a provoqué ces tensions, elles continuent imperturbablement de pousser le même agenda politique. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

L’épisode en cours sur les nouveaux traités de partenariat pacifique et transatlantique en est une illustration parfaite. De quoi s’agit-il au juste ? Depuis la fin de la 2nde guerre mondiale, les droits de douane entre pays ont progressivement été abaissés dans le cadre des cycles de négociation menés sous l’égide du GATT puis de l’OMC. Aujourd’hui, les droits de douane sont extrêmement bas partout sur la planète. Les dernières barrières restantes au libre-échange sont souvent des barrières « non-tarifaires », c’est-à-dire les différences de normes et de régulations (sanitaires, sécuritaires, de propriété intellectuelle…) entre pays. Le but des accords est donc de « niveler » le terrain normatif et réglementaire et d’assurer les conditions du maintien d’une « saine » concurrence. Il n’y a pas besoin d’être un grand technicien pour comprendre qu’il s’agit là de nouvelles camisoles en préparation pour la souveraineté des Etats.

Un autre problème tient à la façon dont ont eu lieu les négociations, très révélatrice du malaise démocratique contemporain. Elles ont été organisées dans le plus grand secret avec une visibilité minimum sur le contenu des discussions, y compris pour les représentants des parlements nationaux. Comme l’a pointé du doigt Elizabeth Warren, 85% des personnes participants aux négociations sont des membres des grandes multinationales ou des lobbyistes. C’est avant tout à leur profit que sont négociés ces traités. Joseph Stiglitz a ainsi souligné que les discussions visant à renforcer la propriété intellectuelle relevaient plus d’une volonté de sécuriser des positions acquises et des rentes que d’améliorer la vie des citoyens ou des consommateurs.

Les défenseurs de l’accord ont soutenu que le traité comprenait des clauses très ambitieuses en matière de régulation du dumping social. Ce fut l’occasion pour la sénatrice du Massachussetts de publier un rapport cinglant faisant l’inventaire des clauses similaires dans les traités précédents qui n’ont jamais été respectées. Il n’y a aucune garantie que ce sera le cas avec ces nouveaux traités. Par contre, il semble que les Multinationales se soient donné les moyens de défendre leurs intérêts avec la mise en place d’un mécanisme de règlement des différents entre investisseurs et Etats. Elles seront ainsi mises sur un pied d’égalité avec des Etats souverains et pourront les attaquer auprès de tribunaux d’arbitrage supranationaux quand elles s’estimeront lésées par la politique de l’un d’entre eux.

La guerre entre la souveraineté des peuples et les intérêts constitués des élites mondiales n’en est décidément qu’à ses débuts.

lundi 14 septembre 2015

Etat, souveraineté et mondialisation



J’évoquais dans mon précédent post la montée en puissance des candidats populistes dans les pays développés.  La liste s’est récemment allongée avec l’apparition de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. Un apôtre old-school de l’Etat-providence vient de prendre la tête du parti travailliste au grand dam de Tony Blair. Ce qui saute aux yeux quand on compare les programmes de tous ces candidats anti-establishment, qu’ils soient de droite ou de gauche, c’est qu’il ne s’agit que d’une variation autour d’un même thème : le réarmement du rôle de l’Etat.

Quand Donald Trump, Nigel Farage ou Marine Le Pen promettent de chasser les immigrés clandestins et de mettre fin à l’immigration, ils répondent aux aspirations d’une partie de la population qui souhaitent un retour des frontières. Quand Bernie Sanders et Jeremy Corbyn prônent un renforcement de l’Etat-providence, il s’agit de revenir sur le démantèlement des modèles sociaux survenu ces 30 dernières années (même Donald Trump évite soigneusement de critiquer des programmes comme Medicare et Medicaid). A cela viennent s’ajouter les promesses de mettre en place des mesures protectionnistes, de faire revenir les usines parties en Chine, de contrôler la finance,…

Le tableau général est assez clair : il s’agit ni plus ni moins d’un appel à un Etat interventionniste et souverain. Ce qui est intéressant, c’est que cet appel se fait par-delà le clivage droite/gauche, le clivage étant plutôt élites et gens aisés contre candidats anti-système et milieux peu aisés (y compris les jeunes). C’est donc là que se situe la nouvelle fracture politique au sein des pays développés : les gagnants de la mondialisation contre les perdants.

Cela rend de plus en plus le clivage droite / gauche artificiel et reflétant mal les vraies lignes de fractures au sein des pays développés. Il ne fait pas de doute que cette situation politique n’est pas tenable et est annonciatrice de recompositions probables des partis politiques dans les années à venir, soit sur le modèle de ce qu’a connu l’Angleterre des années 20-30 avec l’apparition du parti travailliste et la disparition du parti libéral, soit sur celui de la révolution thatchérienne à la fin des années 70.

Il faut bien noter que le clivage qui se dessine entre souverainisme et mondialisme est temporaire car il n’est pas stable. Une fois qu’un camp a gagné, la situation est définitivement changée. L’opposition politique s’exprime désormais le long de la ligne du camp qui a gagné (un peu sur l’exemple de Tony Blair prenant acte des changements intervenus sous l’ère Thatcher).

Pour les pays de la zone euro, les contraintes inédites que fait peser la monnaie unique sur la souveraineté des Etats laissent à penser que la crise politique va s’exprimer de façon beaucoup plus profonde et violente que dans les autres pays développés, comme l’illustre l’émergence du débat sur les fronts de libération nationaux. Il est d’ailleurs intéressant que ce soit l’auteur de La démondialisation qui ait lancé le débat.

mardi 11 août 2015

Donald Trump, Bernie Sanders, Jean-Marie Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nigel Farage, Beppe Grillo et tous les autres


La popularité relative de Donald Trump concentre beaucoup d’attention Outre-Atlantique en ce moment. Nombreux sont les commentateurs qui s’étonnent d’un tel succès pour un personnage si excentrique et si peu « crédible ». Ses déclarations fracassantes, notamment sur les mexicains, et son manque de sérieux ont fait s’étouffer plus d’un commentateur, d’où les interrogations sur son mystérieux succès (à relativiser tout de même).

A la vérité, Donald Trump n’est que le dernier représentant d’une figure qui s’est beaucoup affirmée ces dernières années en Europe et ailleurs : le candidat anti-establishment et populiste. Malgré sa fortune, Trump appartient bien à cette catégorie à laquelle on peut également rattacher des profils aussi divers que Bernie Senders aux Etats-Unis, Jean-Luc Mélenchon et Jean-Marie Le Pen en France, Nigel Farage au Royaume-Uni ou Peppe Grillo en Italie. Certains peuvent être sympathiques, d’autres moins.

L’existence de candidats populistes n’est pas chose nouvelle ni aux Etats-Unis ni en Europe. Si la crise de 2008 a clairement favorisé leur essor, il faut bien constater que les dynamiques à l’œuvre derrière ce phénomène sont bien plus anciennes que la crise. En France, Jean-Marie Le Pen se hisse au 2ème tour de la présidentiel dès 2002. En Italie, la longévité exceptionnelle d’un Berlusconi s’explique notamment par son coté provocateur et anti-politiquement-correct qui plaisait clairement à une partie de son électorat. De même, les triomphes du non au référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas traduisent une défiance latente et grandissante de l’électorat vis-à-vis de leurs « élites » politiques, économiques et médiatiques.

Bref, on sent monter une colère anti-establishment s’exprimant de façon différente mais toujours plus forte dans de nombreux pays développés depuis le début des années 2000. Le fait d’être déclaré incompétent par l’establishment peut même devenir un atout face à des électeurs qui pensent sérieusement à renverser le navire.

Il me semble qu’on a dans cette crise latente du monde politique occidental, une bonne mise en pratique du triangle d’incompatibilité politique pressenti de longue date par l’économiste Dani Rodrik (et affiné depuis). Pour faire simple, l’intégration toujours croissante des marchés mondiaux de capitaux, de marchandises et de services sous l’égide d’institutions internationales comme l’OMC ou le FMI (la mondialisation) est incompatible avec la souveraineté nationale ET la démocratie.

On peut avoir deux des trois mais pas les trois à la fois : la globalisation n’est compatible avec la démocratie que dans le cadre d’un Etat fédéral mondial, projet ô combien utopique. La souveraineté nationale et la démocratie ne peuvent se maintenir que dans un cadre de mondialisation restreinte et régulée (comme à l’époque de Bretton Woods).

Que donne la 3ème possibilité ‘souveraineté nationale + globalisation’ ? Je pense qu’on en a une idée de plus en plus nette aujourd’hui (j’en avais déjà un peu discuté dans un post précédent) : les partis de gouvernement de droite ou de gauche mènent des politiques économiques et sociales peu différenciées (pour ne pas dire identiques) et on s’efforce lors des campagnes électorales de créer un clivage assez artificiel sur les derniers terrains disponibles (les fameux sujets « sociétaux »). Les électeurs ont de plus en plus l’impression d’être pris pour des cons, particulièrement ceux qui ont le sentiment d’être les grands perdants de la mondialisation.

Nulle part plus que dans la zone euro, la contradiction entre démocratie et intégration économique n’a été poussée aussi loin. On a même vu des gouvernements de gauche tenter de présenter des politiques déflationnistes comme des politiques équitables et justes. Dans un tel contexte, le terme « crédible » en politique est difficile à attribuer…

samedi 1 août 2015

L’équilibre introuvable du fédéralisme


Le conseil des sages allemand vient de publier son dernier rapport (il conseille le gouvernement et ne parle pas en son nom). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il contient des propositions assez « décoiffantes », notamment :
  • Un mécanisme pour permettre aux Etats de la zone en difficulté de faire défaut sur leur dette
  • Un mécanisme pour  permettre à un Etat de sortir de la zone si nécessaire (il ne faudrait pas céder au chantage d’un Etat mauvais coucheur)

Il s’agit là d’un approfondissement de la volonté allemande (tout à fait compréhensible au demeurant) de ne pas voir l’argent du contribuable allemand pris au piège d’une union de transfert pour renflouer les autres Etats. Ces propositions sont tout à fait cohérentes avec les premières« avancées » fédérales réalisées dans le cadre de l’Union bancaire. Elles ont également paraît-il le soutien du SPD.

On sait que l’électorat allemand n’a aucune envie de « payer » pour les autres pays. On ne peut que le comprendre. Pour autant, cela ne veut pas dire que les élites allemandes n’ont pas un plan pour avancer vers une forme d’intégration renforcée.

Wolfgang Schauble a ainsi fréquemment proposé que les Etats acceptent de soumettre leur politique fiscale et économique à une autorité supranationale « impartiale » qui aurait pour vocation de faire appliquer à la lettre les règles de bonne conduite budgétaire et économique aux Etats européens, conformément à la philosophie ordolibérale allemande.

Une fois ce transfert de souveraineté effectué, les Etats « laxistes » n’auraient qu’à bien se tenir. Comme Schauble l’a souvent répété, le problème de la Grèce n’est pas le traitement que lui a infligé la Troika mais le fait que le patient ait mal pris le médicament en ne menant pas à leur terme bon nombre de réformes structurelles. De même, la France gagnerait selon lui à ce quelqu’un force le parlement français à voter les réformes nécessaires. On se demande comment des électorats  nationaux pourraient accepter durablement un pareil traitement.

Cela dit, la question est posée de savoir si en acceptant cette contrainte, les Etats du sud obtiendraient des Etats du nord des avancées significatives en matière d’union de transfert. Les premiers pas de l’Union bancaire laisse à penser qu’il ne faudrait surtout pas se leurrer : l’union bancaire a permis de poser un cadre supranational crédible s’appuyant sur la BCE pour superviser les banques. Cela a pourtant accouché d’une souris en matière de solidarité financière, décrédibilisant ainsi tout l’édifice de l’Union bancaire (pas d’assurance des dépôts au niveau européen notamment). Le rapport récent des sages allemands donne également un avant goût des lignes sur lesquelles se feraient ces négociations. Il faut bien constater que la philosophie ordolibérale allemande donne de nombreux prétextes à la défense d’intérêts nationaux bien compris (et à vrai dire tout à fait légitimes) : on prétend responsabiliser les autres pays mais on se garde bien d’ouvrir les cordons de sa propre bourse. Bref, le bâton sans la carotte.

Les populations de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de la France pesant presque 60% de la zone euro, il est également probable que si un parlement de la zone euro était instauré pour compléter le nouveau dispositif, les pays du nord feraient leur possible pour le cantonner à un rôle décoratif (en le privant par exemple de l’initiative législative et du contrôle de l’impôt comme c’est déjà le cas pour le parlement européen aujourd’hui) pour éviter que l’union de transfert ne s’accentue à leur dépens.

Si la ligne des pays du nord et de l’Allemagne venait à s’imposer (ce qui est le cas à l’heure actuelle), on assisterait à une intégration qui accentuerait gravement le caractère non démocratique de la zone euro et se bornerait à une union de transfert limitée au minimum. Cela voudrait dire une mise entre parenthèse de la démocratie dans les pays du sud et probablement leur appauvrissement définitif. On imagine mal un tel processus aller à son terme.

Dans le même temps, on imagine mal que l’électorat des pays du nord serait prêt à céder s’il se produisait une forme de rébellion des pays du sud. L’absence de sentiment de solidarité et d’appartenance commun rendrait insupportable toute accentuation de l’imposition des pays du nord au niveau nécessaire pour assurer l’avenir économique des pays du sud. On ne voit pas non plus un tel processus aller à son terme.

Ne reste plus alors qu’une dissolution de la zone, concertée ou non.

dimanche 26 juillet 2015

Les premiers pas d’une impasse fédérale


Confrontés aux conséquences dévastatrices de la monnaie unique, nombreux sont les journalistes et économistes qui appellent à plus de fédéralisme pour sortir de la crise « par le haut ». On propose de mettre en place des mécanismes de solidarité financière entre pays européens pour faciliter l’ajustement des pays en difficulté.

Dans le cadre du fédéralisme, on peut distinguer en gros trois grands domaines de solidarité financière :
  • L’union bancaire : faire garantir l’ensemble des dépôts bancaires à hauteur d’un certain montant par les contribuables européens et mettre en place des mécanismes de solidarité entre Etats européens pour venir en aide aux banques en difficulté.  L’idée est ainsi d’éviter l’explosion de la dette des Etats du sud de l’Europe, contraints de renflouer leurs banques.
  • La mutualisation des dettes souveraines : fusionner les dettes de l’ensemble des Etats de la zone euro (les euro-obligations) pour permettre aux Etats fortement endettés de bénéficier de la garantie des Etats faiblement endettés de la zone, et ainsi de taux d’emprunt satisfaisants.
  • Le budget fédéral : une fiscalité commune à l’ensemble des Etats qui permettrait ainsi la mise en place de politiques contracycliques en faisant financer, par exemple, les indemnités chômage d’un pays en difficulté par les autres pays de la zone.

Des trois, l’idée du budget fédéral est la plus difficile à mettre en pratique car elle sous-entend un immense effort de convergence des modèles économiques et sociaux au sein de la zone. Et oui, il est difficile de faire accepter à un pays de subventionner des indemnités chômage ou des pensions de retraites plus généreuses que les siennes. On voit déjà se profiler ici une convergence qui se ferait au prix d’un nivellement par le bas des modèles sociaux.

Les Etats de la zone ont donc commencé par la solidarité la plus facile en théorie à organiser : celle de l’Union bancaire... en prenant pour modèle le précédent du renflouement de Chypre en 2013… Pour ceux qui s’en rappellent, ce renflouement avait pris des formes très inhabituelles. Chypre étant un paradis fiscal, les Etats de la zone avaient refusé de renflouer des banques dont les dépôts appartenaient à des oligarques russes. Une confiscation des dépôts au-dessus de 100 000€ avait été organisée pour essuyer les pertes et limiter le montant du renflouement au minimum. Ce choix avait entrainé une panique bancaire et une fuite massive des capitaux rendant nécessaire l’instauration en urgence de contrôles de capitaux.

En théorie, les mécanismes de solidarité au sein d’une union bancaire visent précisément à éviter les paniques bancaires comme celle provoquée à Chypre, c’est d’ailleurs la gestion calamiteuse du renflouement de Chypre qui avait relancé le projet d’union bancaire… C’est donc très naturellement que les pays de la zone ont instauré en 2014 une union bancaire qui systématise les mécanismes de renflouement testés avec autant de succès à Chypre… Ca ne s’invente pas…

Le mécanisme de résolution retenu consiste donc à « rincer » le bilan de la banque avant toute mobilisation européenne (les pertes sont d’abord essuyées par les actionnaires, les créanciers juniors et les dépôts non garantis de la banque avant toute aide européenne). L’aide européenne est en outre limitée à 5 Mds€, au-dessus de ce montant un vote des pays de la zone euro est nécessaire, laissant planer le doute que d’autres confiscations de dépôts soient nécessaires… Le tout est « crédibilisé » par un fond de résolution de 55 Mds€ qui doit être abondé par les banques européennes… d’ici 2025… 

Un tel mécanisme est voué à provoquer le contraire de ce pourquoi il a été mis en place. Par contre, il permet de limiter au minimum l’exposition au risque d’un renflouement pour les Etats qui ne veulent pas payer et c’est bien là le principal... Le projet fédéral revient à demander à la région riche et bien portante (à savoir l’Europe du Nord et surtout l’Allemagne) de porter à bout de bras le reste de la zone euro. On peut comprendre que cette perspective ne les enchante guère.

Des économistes comme Patrick Artus et Jacques Sapir ont fait des macro chiffrages des transferts fédéraux que l’Allemagne devrait accepter pour que la zone euro soit viable en l’état. En prenant des hypothèses très conservatrices et qui sont loin d’être exhaustives, les fourchettes annoncées se situent entre 8 et 13% du PIB allemand. On demanderait donc à l’Allemagne de verser chaque année l’équivalent d’au moins 10% de ses revenus pour faire fonctionner la zone euro. Il est clair qu’entre son appauvrissement et celui en cours des Etats du sud, l’Allemagne a choisi la 2ème option. 

lundi 20 juillet 2015

Le supplice de l’ajustement permanent



Un blogueur du Washington Post a sorti un bon papier vendredi qui met le doigt sur un point très important: l’euro est un enfer non seulement pour les pays du sud mais aussi pour les bons élèves du Nord…

Le cas de la Finlande est à cet égard emblématique (voir également Krugman sur le sujet) : le pays n’a pas eu de bulle du crédit et a connu une inflation très modérée au cours des années 2000. En revanche, il s’est vu fortement attaqué sur ses grandes spécialisations sectorielles : l’industrie du téléphone mobile et du papier. L’apparition des smartphones et le développement du paperless ont ainsi entamé la rentabilité des entreprises finlandaises ces dernières années.

La baisse des ventes des industries exportatrices finlandaises a eu pour conséquence de dégrader la productivité du travail. Les salaires ne s’étant pas réalignés en conséquent, cela s’est traduit par une hausse des coûts salariaux unitaires (les coûts salariaux ramenés à chaque unité produite).


En temps normal, il suffirait à la Finlande de déprécier immédiatement sa monnaie pour restaurer sa compétitivité. Dans le cadre de l’euro, la chose est désormais impossible. Cela se traduit par une langueur prolongée de l’économie finlandaise depuis la crise de 2008. Elle ne pourra en sortir qu’au prix d’une baisse douloureuse et lente du coût du travail et de réformes structurelles. Le pays est pourtant un apôtre de la rigueur avec un faible niveau d’endettement public et un déficit budgétaire sévèrement contrôlé.

Pour maintenir les taux d’inflation et les coûts de production en ligne, les économies de la zone euro sont contraintes de se soumettre en permanence au lit de Procuste des plans d’austérités et des réformes structurelles entrainant inévitablement un chômage de masse. La chute de l’article du Washington Post est bien trouvée : « L’euro est un Dieu capricieux, punissant aussi bien les pécheurs que les saints »

mercredi 15 juillet 2015

Les dynamiques politiques au sein de la zone euro


J’aimerais détailler un peu l’impact des problèmes évoqués dans mon post précédent sur les dynamiques politiques actuelles au sein de la zone euro.

Pour rappel, les principaux problèmes pour la stabilité de la zone sont :
  • Les différentiels d’inflation entre pays 
  • L’absence de solidarité réelle entre pays (en attendant d’être démenti)

Cela ne laisse comme seule variable d’ajustement pour rétablir la compétitivité d’un pays que le taux d’inflation. Variable d’ajustement très imparfaite puisque les pays n’ont plus le contrôle de leur politique monétaire. La seule façon d’essayer de piloter le taux d’inflation devient la politique budgétaire et les fameuses « réformes structurelles ». Des outils qui ne sont pas franchement prévus à cet effet...

Si un pays ayant perdu sa compétitivité veut retrouver des marges de manœuvre, il n’a d’autre choix que de mener une politique budgétaire totalement sadomasochiste et d’engager des réformes structurelles dont les effets sont incontrolables dans un contexte dépréssionnaire, le tout sans maitrise de l’environnement monétaire… Bref, autant traverser un champ de mine en courant les yeux bandés…

Mais ce n’est pas tout…

A cela vient s’ajouter l’épineux problème de la dette. Les pays peu compétitifs ont bénéficié de renflouements des autres pays de la zone sous forme de prêts. Les pays prêteurs entendent bien recouvrer la majeure partie de ces fonds et pour ce faire, avoir un droit de regard sur les réformes adoptées par les pays emprunteurs.

Il est clair que dans certains pays prêteurs, notamment en Allemagne et en Finlande, l’humeur générale n’est pas vraiment à faire des fleurs aux pays du sud mais plutôt à encourager les réformes les plus dures.

Cet état d’esprit est en outre aggravé par la propension de certains politiciens à transformer les problèmes structurels de la zone euro en une fable morale sur les tares des pays du sud. Plutôt que de reconnaitre que les responsabilités sont partagées par tous dans la crise actuelle, on balance tout le poids des responsabilités sur un groupe de pays. Une stratégie qui prépare le pire à terme…

A cet état d’esprit s’oppose la dynamique politique dans les pays du sud de l’Europe. Il est clair que les politiques d’austérité ont été conduites sans mandat populaire réel. Les scores électoraux des gouvernements de technocrates réformateurs comme ceux de Monti en Italie ou de Samaras en Grèce en sont de bons exemples.

Ces réformes ont souvent été imposées au prix de reniements électoraux, d’alliances politiques contre nature ou de coups de force (comme les évictions de Papandreou et de Berlusconi fin 2011 ou les blocus monétaires de Chypre et de la Grèce en 2013 et 2015) avec à la clé des résultats sociaux dévastateurs et un bilan économique très mitigé (prévisible étant donné les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre ces politiques). Les dégâts sur la scène politique ont été considérables. On voit bien que le point de rupture entre aspiration démocratique et ajustement structurel est atteint en Grèce et proche dans d’autres pays.

Malheureusement, l’ajustement est encore loin d’être terminé. Si les dynamiques politiques divergentes persistent ainsi, l’intégrité de la zone euro ne pourra sans doute se maintenir qu’au prix d’un autoritarisme de plus en plus marqué. Dans un tel contexte, discuter de modes d’ajustement plus raisonnables devient un impératif. 

Rétrospective sur la bulle pétrolière de 2008 : oui oui, bien sûr c’était les fondamentaux…



Pour ceux qui s’en rappellent, l’année 2008 a été marquée par une folle envolée des prix du pétrole, culminant en juillet 2008 à 148$ le baril. L’argument le plus courant était d’invoquer les déséquilibres structurels entre une offre stagnante et une demande en forte progression, constamment poussée par la croissance des pays émergents pour expliquer cet emballement des prix. Autrement dit, « circulez, il n’y a rien à voir ! »

Une version alternative était que les prix étaient décorrélés des fondamentaux et tirés à la hausse par des spéculateurs sur les marchés financiers. Dans le cas des marchés pétroliers, la « spéculation » désigne généralement le fait d’acheter des contrats à terme en espérant réaliser un gain sur l’appréciation des cours entre le moment de l’achat et celui de la revente du contrat.

Alors, y-avait-t-il une raison pour que les spéculateurs se ruent sur les marchés à terme précisément à cette période?

A l’origine d’une bulle spéculative, on trouve souvent un phénomène de « déplacement », c’est-à-dire l’apparition soudaine d’une nouvelle source de profit sur un marché, or c’est précisément ce qui a été observé sur les marchés pétroliers à la fin de juillet 2007 avec l’inversion de la courbe des prix à terme.

Dans le cas des marchés pétroliers, on distingue deux situations pour la structure des prix à terme.  La première est le contango : Les prix sont une fonction croissante de la maturité. On est donc en contango quand le prix du pétrole dans 3 mois est plus élevé que le prix du moment. Dans la situation inverse, le prix au comptant est plus élevé que les prix à terme, la courbe des prix est cette fois une fonction décroissante de la maturité : on dit alors que le marché est en backwardation.

Puisque un investissement dans les indices de matières premières se fait par l’acquisition de contrats à terme, la forme de la courbe des prix à terme a un impact direct sur la rentabilité du placement. En backwardation, au fur et à mesure que se rapproche l’échéance du contrat à terme, la convergence du prix à terme vers le prix au comptant entraine une plus-value qui vient s’ajouter à celle réalisée sur l’appréciation du prix du baril au cours de la période.

Or, après 30 mois de contango ininterrompu, la courbe des prix à terme sur les marchés pétroliers s’est inversée à la fin du mois de juillet 2007, augmentant substantiellement l’espérance de gain des investisseurs présents sur le marché :


Bon, que les investisseurs aient voulu profité des gains à faire sur les marchés à terme pétroliers semble être une hypothèse assez raisonnable. Voilà ce qu’on pouvait lire sur des blogs à cette période :

« I made a bit of a to-do about the commodities market in July when the oil market switched from contango to backwardation. I think the word I used was "Rejoice!" Finally, I said, it was safe for index investors to go back in the water.” Seekingalpha.com, 15 octobre 2007

 “Oil futures investing has gotten very, very interesting again.” Hardassetinvestor.com, 15 septembre 2007

Oui, mais que les spéculateurs aient voulu profiter de la hausse des prix ne prouve  pas qu’ils influencent directement les prix, n’est-ce pas ?

Oui, en théorie… mais c’est faire fi d’un certain nombre d’évolutions intervenues dans la formation des prix sur les marchés pétroliers, notamment le rôle croissant des marchés à terme dans la formation des prix. La preuve ?

Réinsérons l’évolution du cours du baril dans le cadre général de l’évolution des marchés financiers : La superposition de l’indice Nasdaq et du prix au comptant du baril WTI semble livrer des informations intéressantes. Historiquement ces deux courbes n’ont jamais été corrélées significativement ; elles n’ont d’ailleurs aucune raison de l’être.

La première représente l’évolution d’un panier de valeurs technologiques cotées en bourse, la deuxième l’évolution du prix du baril sur le marché physique de Cushing dans l’Oklahoma. L’évolution du Nasdaq est une fonction des anticipations des investisseurs et des spéculateurs sur l’évolution des résultats des entreprises qui composent l’indice. En principe, le prix au comptant du baril ne devrait être déterminé que par le rapport de force entre acheteurs et vendeurs sur le marché physique. Voilà ce qu’on constate quand on compare les 2 courbes au moment du retournement du marché pétrolier en 2008-2009 :


On peut raisonnablement en conclure que le pétrole est devenu un actif financier comme un autre.

lundi 13 juillet 2015

Distinguer la civilisation libérale de l’idéologie libérale


L’époque actuelle est propice à beaucoup de manichéismes. Il est ainsi fréquent d’opposer Hayek le libéral à Keynes l’Etatiste. Cette opposition est en fait assez superficielle. Keynes était de culture tout aussi libéral que Hayek. Je veux par-là dire qu’il partageait avec Hayek une même inclination pour défendre la liberté d’opinion et d’expression, le pluralisme politique et la libre entreprise. Bref, de façon générale, le droit, pour chaque personne, d’être emmerdée le moins possible dans sa vie quotidienne.

En fait, philosophiquement, Keynes et Hayek étaient presque des jumeaux. Cela transparait particulièrement dans la lettre que Keynes adressa à Hayek lors de la publication de son livre La route de la servitude (un livre pourtant très critiqué par les milieux universitaires anglais et américains à sa sortie) :

« In my opinion it (The Road to Serfdom) is a grand book. We all have the greatest reason to be grateful to you for saying so well what needs so much to be said. You will not expect me to accept quite all the economic dicta in it. But morally and philosophically I find myself in agreement with virtually the whole of it; and not only in agreement with it, but in a deeply moved agreement. »

Keynes ne disait pas ça par hypocrisie, il le disait parce qu’il le pensait profondément. Cela n’empêchait pas Keynes d’avoir des divergences radicales avec Hayek sur les conséquences concrètes de cette philosophie partagée.

Pour Hayek, toute forme d’intervention de l’Etat est vouée à perturber les mécanismes autorégulateurs du marché. Toute entrave au marché sous forme de groupes d’intérêts constitués ne fait que prolonger les difficultés économiques. Hayek est donc un « liquidateur » quelqu’un qui croit qu’il faut laisser le marché faire son œuvre quelles qu’en soit les conséquences économiques et sociales. De ce point de vue, malgré les choses remarquables qu’a pu écrire Hayek, cela fait de lui un idéologue libéral fou cinglé. Le problème d’être un « puriste » psycho-rigide…

Keynes au contraire était très conscient des imperfections de la vie quotidiennes, par exemple la rigidité des salaires à la baisse. Pour lui, il ne fait pas de doute que l’ordre libéral sécrète naturellement ses propres imperfections et ses groupes d’intérêts constitués (comme les syndicats) qui pour être supprimés comme le voudraient certains « libéraux » nécessiterait des politiques autoritaires et non libérales.

Tout le but est dans la mesure du possible de savoir vivre avec. Son cadre de réflexion consiste donc à proposer des solutions adaptées au contexte observé. Keynes, au contraire d’Hayek, est un esprit profondément pragmatique.

Sa Théorie générale s’inscrit dans cette démarche. Il préconise une solution adaptée au temps de tempête qu’est la Grande Dépression. L’interventionnisme qu’il préconise découle directement du fait qu’il constate l’inefficacité de l’approche liquidationniste et déflationniste proposée par les économistes de l’époque.

Il s’inquiète également de la capacité des corps sociaux et des régimes politiques à pouvoir digérer ces traitements de cheval. Son interventionnisme se veut donc avant tout comme une défense de l’ordre politique libéral.

Aujourd’hui, Il est franchement stupéfiant de voir comment, devant l’incapacité du réel à produire les effets espérés par leurs politiques, certains hommes politiques et économistes se réclamant du « libéralisme » sont prêts à tous les autoritarismes pour forcer les ajustements qu’ils estiment nécessaires.

Le champ de ruine que sont les économies et les scènes politiques de certains pays européens est à cet égard un exemple frappant.

vendredi 10 juillet 2015

La crise de la zone euro pour les nuls


Envie de comprendre la crise de la zone euro en 2 minutes ? Facile

L’origine de la crise :

En adoptant la monnaie unique, les pays de la zone euro ont accepté de partager un taux de change commun et une politique monétaire commune.

Manque de pot, les pays de la zone ont structurellement des taux d’inflation différents:


Les différences de taux d’inflation au sein de la zone euro sont le produit de la forte hétérogénéité des économies qui la composent : les pays ont des structures d’offre et de demande, des spécialisations sectorielles et industrielles, des traditions dans la gestion des relations sociales extrêmement différentes.

Dans le long terme, ces écarts d’inflation se traduisent par une divergence de compétitivité au sein de la zone avec des pays en fort excédent et d’autres en déficit : là où les prix allemand auront augmenté de 15% en 10 ans, ils auront augmenté de 35% en Espagne à taux de change constant. Cela veut dire une forte dégradation de la compétitivité prix de l'Espagne.


D’une façon ou d’une autre, ces déficits extérieurs doivent être financés. Cela s’est traduit par une forte hausse de l’endettement extérieur des pays peu compétitifs, posant à terme le problème de la soutenabilité de leur dette.

Le déclenchement de la crise :

Dans le sillage de la crise de 2008 et de l'aversion au risque qui en a résulté, les investisseurs ont progressivement pris peur des besoins de financement des économies de la zone euro pris au piège par leur manque de compétitivité.

Ils se sont alors débarassés de la dette des pays de la périphérie entrainant une explosion des taux d’intérêts sur leur dette. La BCE a contribué à aggraver le problème en ne jouant pas son rôle de prêteur en dernier ressort et en ne soutenant pas les dettes souveraines des pays attaqués.



Ces pays ont alors été privés d'accès aux marchés financiers pour financer leurs déficits et refinancers leurs dettes, rendant nécessaire des renflouements en urgence par les autres pays européens. 

Le traitement de la crise :

Si à l’origine de la crise il y a des différentiels d’inflation, la solution consiste à les supprimer. Pour ce faire, il faut soit que le pays ayant eu la plus faible inflation accepte d’avoir une inflation forte soit que les pays ayant eu une forte inflation accepte de mener des politiques de déflation pour ramener leur prix en ligne avec ce que leur compétitivité exige. Un mélange des deux est bien sur possible.

Malheureusement l’Allemagne a conservé une inflation extrêmement faible depuis le début de la crise, faisant ainsi porter tout le poids de l’ajustement sur les pays ayant eu une forte inflation.

Faire baisser les prix est la chose la moins naturelle du monde pour une économie. Ce phénomène est connu sous le nom de rigidité des prix et salaires à la baisse. Pour y arriver il convient de mettre en œuvre des politiques d’austérité extrêmes, inéluctablement génératrice d’un chômage de masse dans la phase d’ajustement.

Normalement, la solution la plus simple consiste à dévaluer sa monnaie. Solution impossible pour les pays de la zone euro.

L’ajustement pourrait également être facilité s’il existait des mécanismes de solidarité au sein de la zone euro, similaire à ce qu’on voit aux Etats-Unis : Aux US, quand un Etat se trouve en difficulté économique et financière, il bénéficie automatiquement de l’aide des autres Etats via le budget fédéral. Ainsi les chômeurs de Floride voient-ils leurs indemnités payées par les autres Etats.

Si de tels mécanismes étaient mis en oeuvre au sein de la zone euro, cela se traduirait par une baisse des coûts pour les pays les plus faibles et donc une meilleure compétitivité, gagnée au détriment des autres pays de la zone (qui verraient eux leurs coûts augmenter).

En zone euro, la « solidarité » a été limitée à l’octroi de prêts que les prêteurs espèrent bien recouvrer. On est très loin de voir des transferts budgétaires de l’Allemagne vers l’Espagne ou l’Italie.

A long terme, la question est posée de la capacité des corps sociaux à supporter cette politique d’ajustement draconienne. C’est cette question qui est mis au 1er plan depuis l’élection de Syriza.

La zone euro est actuellement à la croisée des chemins. La Grèce ne veut plus d’austérité mais l’austérité est la condition de maintien dans la zone euro, faute de solidarité entre pays.

Si la Grèce sort de la zone euro, les choses auront le mérite d’être claires aux yeux de tous. En zone euro, le faible porte tout le poids de l’ajustement et s’il refuse, il est invité à sortir. Sacré projet européen. Sans doute de quoi provoquer quelques réflexions… 

jeudi 9 juillet 2015

Un referendum pas légitime en Grèce?


On entend beaucoup l’argument « la question était trop compliquée et technique pour que les grecs puissent prendre une décision informée ». Cette argument est beaucoup utilisé par les euro-béats pour expliquer que le referendum en Grèce n’a aucune légitimité.

Cette proposition est franchement d'une grande malhonnêteté :
·         En 58, quand de Gaulle demande l’avis du peuple français sur la nouvelle constitution, croit-on sérieusement que les français soient des experts en droit constitutionnel ?
·         De même quand Mitterrand soumet le traité de Maastricht au referendum pense-t-on que les français connaissent et comprennent en détail chaque article du texte ? 

Pour autant demander l’avis au peuple n’a-t-il aucune utilité ?
Bien sûr que non. Derrière le referendum se cache en fait une question et une décision sur des principes de fond, souvent très simples à comprendre. Le vote légitime ou non ces principes.

En 58, la question véritable posée par de Gaulle était « pensez-vous que les principes (exécutif fort,  fin des coalitions parlementaires à la proportionnelle) sur lesquels j’ai voulu construire cette constitution permettront de répondre aux maux politiques du pays ? ». Ce fut un plébiscite

En 92, la question véritable était « êtes-vous prêts à faire un saut vers un début de fédéralisme européen ? » La victoire à l’arraché du oui aurait dû faire comprendre aux élites qu’elles avançaient sur une glace très fine et que la plus grande prudence était de mise. On a vu ce que ça a donné par la suite...

Dans le cas de Tsipras, la question était extrêmement simple. Il a été élu sur la promesse de réduire l’austérité en obtenant un haircut sur la dette tout en restant dans l’euro. Il revient vers le peuple en demandant « Je n’ai pas réussi à obtenir ce que nous voulions. Voulez-vous que je retourne affronter les créditeurs en persistant sur cette ligne avec les risques et dangers que cela comporte ou devons-nous nous coucher ? »

La vraie question est celle qui n’est pas directement formulée. Le referendum (ou d’ailleurs une simple élection) est perdu ou gagné en fonction de la question implicite que vont y voir les électeurs. Erdogan a ainsi récemment perdu sa majorité absolue en Turquie. La vraie question qu’y était en fait posée lors de l’élection législative était : « me donnerez-vous la majorité absolue dont j’ai besoin pour changer la constitution et crée un régime présidentiel fort ? ». Les électeurs ont jugé autrement. De même en 2012, la vraie question de l’élection était : « pour ou contre Sarkozy ? »

En 2005, le texte constitutionnel proposé était en fait composé de 2 éléments. 1) Une synthèse des anciens traités dont l’essentiel n’avait pas été soumis à referendum 2) une série d’avancées en matière d’intégration politique. Pour les électeurs, la question perçue a été : « Soutenez-vous ce que nous avons fait jusque-là ? Acceptez-vous que nous poursuivions plus loin dans cette voie ? » La réponse a été cinglante. En disant non, les français repoussaient à la fois la méthode (déficit démocratique et opacité dans les prises de décisions précédentes) et le fond (l’obsession de la concurrence libre et non faussée transparaissant dans de nombreux articles du texte).

Disqualifier la décision démocratique sous prétexte que la décision à prendre ou le texte à juger sont trop complexes est particulièrement fallacieux. Il cache en fait une volonté de ne pas avoir de compte à rendre. C’est ainsi que VGE, amer d’avoir perdu le referendum de 2005, estime désormais que les sujets européens sont trop compliqués pour être soumis aux électeurs. C’est en fait la sortie de la démocratie qui est ainsi théorisée.

De nombreux chroniqueurs ont également dit que les électeurs avaient voté non en 2005 car Chirac était impopulaire, peu importe que les sondages d’opinion montraient parfaitement que les français avaient très bien dissocié les 2 sujets. Quand on n’aime pas la réponse, tous les prétextes sont bons pour délégitimer le fait même de poser la question…

Mondialisation et mouvements sociaux


Depuis 2008 on a vu apparaitre dans de nombreux pays une série de mouvements de révolte spontanés se formant en dehors du cadre traditionnel des partis politiques (remise en cause du style de vie laïque en Turquie, révolte contre la vétusté des moyens de transport au Brésil, révolte contre la réforme du système éducatif au Québec, Tea Party, Occupy Wall Street, les Indignados…).

On est frappé par la forte hétérogénéité idéologique de ces mouvements apparaissant pourtant à quelques mois ou années d’intervalle. Ils apparaissent en outre dans des pays ayant des situations économiques et sociales très différentes. Les révoltes et révolutions du XIXème  étaient de ce point de vue beaucoup  plus homogènes : naissance des nationalismes, éveil du prolétariat, aspiration aux droits de l’homme...
Pourtant, on sent confusément que ces mouvements ont de nombreuses similitudes, notamment dans le sentiment de ras-le-bol généralisée des classes moyennes par rapport à leurs élites politiques et économiques. Les causes profondes de ce malaise sont sans doute à chercher dans les conséquences sociales de la crise de 2008 et de la mondialisation.

Le pitch :

Grace à la mondialisation, certains privilégiés ont accumulé beaucoup plus de richesse et de pouvoir que le reste de la population (même là où des classes moyennes importantes se sont formées au cours de la période)

Cela a résulté dans un phénomène d’oligarchisation renforcée, notamment des classes politiques. Ce phénomène d’oligarchisation a également contribué au développement d’une mentalité de caste des élites mondialisées (l’esprit de Davos, etc…)

Cela se traduit par une prise de décision des pouvoirs politiques se faisant souvent pour le compte d’intérêts minoritaires mais puissants, se faisant dans un cadre intellectuel de référence des élites politiques de plus en plus éloignées des valeurs spécifiques des sociétés qu’elles gouvernent, le tout saupoudré d’un sentiment d’impunité et de toute puissance de plus en plus fort de la part des élites.

Vient un moment où cette évolution de la prise de décision des pouvoirs politiques vient se heurter à des valeurs culturelles profondément ancrées dans  les sociétés où ont lieu ces révoltes (un certain sens de la justice sociale au Canada, aux US et en Espagne, de mode de vie en Turquie, etc…)

Les classes moyennes finissent par se dire que tout se fait en dehors de leur contrôle, qu’on touche à des aspects essentiels du vivre ensemble sans leur demander leur avis, que les élites ne font qu’en fonction de l’intérêt d’une minorité, que la politique est dévoyée, etc…

En résumé, il s’agirait d’une révolte des classes moyennes éduquées (parfois peu ou très aisée) pour des motifs aussi bien de gauche que de droite, sur fond d’une oligarchisation  renforcée de la vie politique et économique sous l’effet de la globalisation

Aux origines du malaise économique français


On entend souvent dire que la France n'a jamais su réformer son Etat et diminuer son poids dans l'économie. C'est sans doute très vrai. Mais une fois qu’on a dit ça, il est important de se demander pourquoi le pays a été irréformable sur ce point au cours des 30 dernières années.

Il y a pas mal d’exemples de pays ayant réussi à mener des politiques de réduction du poids de l’Etat et d’assainissement financier avec à la clé une vraie reprise saine et durable. Je donnerai les plus couramment cités : le Danemark, l’Irlande et le UK dans les 80s, le Canada, la Finlande et la Suède dans les 90s (voir le blog de Paul Krugman pour plus de détails: http://krugman.blogs.nytimes.com/2010/06/18/fiscal-fantasies-2/)

Ce qu’il est important de noter c’est que toutes ces expériences réussies ont un (énorme) point commun souvent chastement passé sous silence : la politique monétaire menée au moment de la mise en place de cette politique. Pour tous ces exemples, la forte réduction du poids de l’Etat a été compensé par une politique de la banque centrale pour 1) soit baisser fortement les taux d’intérêt 2) soit dévaluer la monnaie. En faisant ça, le résultat est toujours invariablement le même : la baisse des dépenses de l’Etat est contrecarrée par une reprise de l’investissement (baisse des taux d’intérêt) ou des exportations (dévaluation), souvent les 2. En bref, les résultats de la politique monétaire expansionniste (baisse des taux + dévaluation) accompagne de façon cohérente les objectifs de la politique d’austérité (qui elle aide à contrecarrer les risques inflationnistes), tout en atténuant ses effets sociaux.

Depuis 1983, la France mène une politique d’austérité monétaire (sado-monétariste pour certains…). Le pompon a été atteint au début des années 90s quand l’Allemagne a augmenté ses taux d’intérêt à des niveaux historiques pour contrecarrer les risques inflationnistes liés à la réunification. Jean-Claude Trichet (déjà lui…) n’a rien trouvé de mieux que d’augmenter les taux de la banque de France pour maintenir la parité du franc et avec le DM (qui lui-même s’appréciait fortement). Résultat : un déficit record et une explosion de la dette publique qui ont péniblement permis de limiter le chômage à 12%.

Globalement, entre la politique du franc fort, de marche à l’euro puis la politique de Trichet à la tête de la BCE (en 2008 l’euro s’échangeait quand même pour la bagatelle d’1,6$...), il est difficile de concevoir comment une politique axée sur l’offre aurait pu se traduire par autre chose qu’un désastre économique et social (il y a eu une fenêtre de tir fortuite sous Jospin au moment de la reprise de 98, bon… on a préféré faire les 35h à la place…et aggraver lourdement la situation…). 

Une grande partie de la paralysie du pays vient sans doute de là. Les effets de la politique monétaire sont d’autant plus pernicieux que la plupart des gens ne les comprennent pas et les sous-estiment largement. Après on a l’impression que c’est la faute du voisin, des syndicats, des gens de droite ou de gauche, que les français sont justes ingouvernables, etc… alors qu’en fait pèse sur l'économie une véritable chape de plomb monétaire.

De là à dégager les marges de manœuvre nécessaires pour mener les réformes nécessaires et obtenir des résultats tangibles, il me semble qu’on en a toujours été très loin… Ma conviction profonde est que quand on veut assainir les finances et diminuer le poids de l’Etat, c’est très difficile de réussir dans un contexte de monnaie surévaluée, ce qui est en gros l’histoire de la France des 30 dernières années.