mercredi 11 novembre 2015

Les drôles de remèdes à l’instabilité financière


Stephen Roach a récemment publié une tribune dans laquelle il s’inquiète des politiques monétaires menées par les banques centrales. Selon lui, ces dernières accordent trop d’importance au pilotage des taux d’inflation et ce faisant négligent les risques d’instabilité financière. Il constate qu’au cours des années 2000, les faibles taux d’inflation ont été concomitants de bulles financières massives dans plusieurs pays développés.

Cette ligne argumentative le conduit à préconiser une normalisation de la politique monétaire aux Etats-Unis le plus vite possible. On ne peut que partager les inquiétudes de l’auteur sur les risques d’instabilité financière. Par contre, on peut s’étonner du refus d’analyser les causes réelles derrière la multiplication des bulles financières ces dernières décennies. Elles tiennent surtout à deux causes évidentes et lourdement établies : la dérèglementation et la liberté de circulation des capitaux.

On peut même comparer l’histoire récente de la finance mondiale à un bateau qui tangue de plus en plus fortement sous les flux et reflux des mouvements de capitaux. On propose ici un rapide rappel historique (et sans vouloir être exhaustif):

Le coup d’envoi de la dérégulation fut donné en 1980 et s'accéléra après que Paul Volcker eut spectaculairement augmenté les taux d’intérêts pour « mater » l’inflation aux Etats-Unis. Il s’en suivit une guerre cruelle entre les différentes institutions financières américaines pour retenir l’argent des épargnants et des investisseurs.

Des acteurs comme les Saving & Loans n’ayant pas le droit de rémunérer leurs dépôts au-delà de certaines limites, le gouvernement américain décida de déréguler le marché pour leur permettre de combattre à armes égales. Les résultats ne se firent pas attendre. En encourageant une concurrence de plus en plus féroce, le gouvernement encouragea les institutions financières à une prise de risque sans cesse accrue pour proposer les meilleurs rendements. Cela se termina par la gigantesque débacle des Saving & Loans.

Fières de ces brillants débuts, les institutions internationales encouragèrent les pays émergents à déréguler et ouvrir leur secteur bancaire au capitaux internationaux. Une nouvelle fois les résultats furent au rendez-vous avec la crise asiatique de 1997 suivie de peu par les crises russes et brésiliennes de 98 et 99. Le rapatriement massif de capitaux vers les pays développés qui s’en suivit tomba juste à point pour alimenter le brasier de la bulle des nouvelles technologies qui explosa si spectaculairement pour fêter le nouveau millénaire.

Bien sur, le clou du spectacle était encore à venir avec les judicieuses innovations financières des années 2000 qui permirent à la finance américaine de refourguer des prêts pourris au quatre coins de la planète dans l’opacité la plus totale. Ce phénomène fut d’ailleurs aggravé par l’obsession pour l’accumulation de réserves de devises des pays asiatiques qui, échaudés par les humiliations et les avanies infligées par les institutions internationales à la suite de la crise de 97, se jurèrent de ne jamais se retrouver dans la même situation. L’économie mondiale s’en trouva durablement déséquilibrée.

Alors, plutôt que de proposer de jeter des seaux d’eau glacée à un malade brulant de fièvre, ne serait-il pas plus utile de traiter les causes profondes du problème avec les médicaments appropriés ? En n’hésitant pas à froisser quelques intérêts bien entendu…

samedi 7 novembre 2015

France et Etats-Unis : les deux faces d’une même pièce


Il est fréquent d'opposer la France aux Etats-Unis. Après tout, les 2 pays ont des modèles économiques et sociaux si différents qu'on aurait du mal à leur trouver beaucoup de similitudes. Ils partagent pourtant un point commun: ces deux pays représentent des sociétés de naufragés de la mondialisation.

Aux Etats-Unis, le rouleau compresseur de la globalisation a eu pour principal effet de faire exploser les inégalités de revenu. Les emplois industriels relativement bien payés se sont volatilisés au profit de petits boulots précaires et mal rémunérés pour les travailleurs peu qualifiés. Ce phénomène a également frappé des travailleurs plus qualifiés, les opportunités d’offshoring ne cessant de progresser au cours des années 2000. Le salaire médian réel est ainsi au même niveau qu’à la fin des années 80 : plus de 20 ans de stagnation.

En France, les travailleurs les moins qualifiés ont connu le chômage de masse sous l’effet d’un coût du travail et d’un salaire minimum trop élevés par rapport à ce qu’exigent les règles du jeu de l’économie mondialisée. En compensation, ils bénéficient du filet de protection d’un Etat-providence plus généreux qu’aux Etats-Unis.

Dans ces deux pays, la liberté de circulation des capitaux permet à la « caste des intouchables » (pour reprendre l’expression d’Alain Cotta) et aux grandes entreprise d’échapper largement à l’impôt. En France, la contrepartie a été un écrasement fiscal des classes moyennes et des petites entreprises pour financer un Etat-providence qui ne parvient pas à compenser les dégâts collatéraux de la mondialisation.

La conséquence pour ces deux pays est un climat politique et social malsain, pouvant potentiellement devenir incontrôlable. Une étude récente d’Angus Deaton dressait le constat édifiant d’une hausse de la mortalité aux Etats-Unis pour les blancs pauvres atteignant la cinquantaine. Les causes derrière ce surcroit de mortalité sont effrayantes : alcoolisme, addiction médicamenteuse et suicide. C’est le reflet de milieux sociaux détruits et désespérés qui canalisent leur haine en votant pour des candidats républicains de plus en plus loufoques. La France périphérique de Christophe Guilluy offre un visage moins dévasté mais le désespoir et la colère sont bien présents et se manifestent au travers du vote FN. En face de cette révolte d’en-bas, se coalisent une classe politique et des lobbys cherchant à promouvoir un agenda qui exacerbe les tendances centrifuges des sociétés qu’ils gouvernent.

L’économie américaine a échappé tant bien que mal à la stagnation grâce au renouvellement régulier de bulles financières pour combler le déficit de demande engendré par l’explosion des inégalités. En France, l’économie a lentement stagné sous le poids croissant de l’Etat et du manque de compétitivité.

Finalement, la France et Etats-Unis se ressemblent beaucoup : deux sociétés malades de la mondialisation où les mesures habituelles de bien-être que sont le plein emploi et la croissance du PIB ne veulent plus dire grand chose. N’est-ce pas d’ailleurs le cas de tous les pays développés ?