dimanche 14 mai 2017

Les hommes contre les choses : le pari qu’Emmanuel Macron ne gagnera pas


Le moment dans lequel nous entrons est décidemment paradoxal: la performance désastreuse de Marine Le Pen lors du débat du 3 mai, particulièrement sur la question de l’euro, accrédite l’idée que la question de la fin de la monnaie unique est désormais close dans le débat public. On sent courir chez les éditorialistes un vent d’optimisme comme si une page se tournait et que le débat européen allait désormais pouvoir avancer dans la bonne direction. La récente interview de Wolfgang Schaüble dans Der Spiegel a ainsi été largement perçue comme un signal positif et constructif envoyé à Emmanuel Macron. L’ampleur des faux-semblants et des quiproquos qu’engendre cet état d’euphorie a contraint certains commentateurs (comme Edward Harrison) à faire une mise au point sur les propos tenus par Schaüble : « This interview is being widely quoted in the English-language press without benefit of a translation. Having read the article, I would say there is nothing extraordinary in his commentary. None of his positions have changed. ».

Cela nous amène à la récente tribune de Yanis Varoufakis et sa dénonciation du pari faustien que le nouveau président français est sur le point de faire et qui déterminera sa présidence. Car sous couvert de dynamiser et moderniser le pays, la politique que s’apprête à mener Emmanuel Macron consiste avant tout à donner des gages significatifs à Berlin pour convaincre les allemands d’avancer vers une fédéralisation de l’euro. Selon Varoufakis, le président français est parfaitement conscient de la casse sociale qui va en résulter mais considère ce préalable comme nécessaire pour obtenir des concessions allemandes. Pour Varoufakis, Macron va « se casser les dents » car, la cause est entendue, « Berlin ne lui donnera rien ». Le volontarisme modernisateur de Macron dissimule en fait une politique consciente de capitulation sans contreparties dans l’espoir de provoquer une réaction généreuse de l’Allemagne. Il s’agit là d’une stratégie de négociation surprenante et paradoxale que l’on pourrait résumer en quatre mots : la stratégie du fayot.

Pourquoi cette stratégie n’a-t-elle aucune chance de réussir ? On aurait beau jeu de rappeler qu’une capitulation d’entrée de jeu augure généralement mal de la suite pour le camp qui capitule mais ce n’est pas là l’essentiel. Parmi les innombrables problèmes du fédéralisme européen, il y a notamment le problème du budget fédéral : pour que le fédéralisme existe, il faudrait que l’Allemagne (la zone riche et bien portante) accepte des transferts substantiels vers les autres pays de la zone (les zones pauvres et en difficultés économiques). Or l’Allemagne est un pays en voie de vieillissement accéléré et en déclin démographique rapide. On peut un peu comparer le comportement collectif des allemands à celui d’un épargnant rigoureux qui veut s’assurer des rentes confortables pour sa retraite. Pour ce faire, il doit accumuler un maximum de créances vis-à-vis de l’extérieur et éviter toute dépense inutile. C’est précisément ce que font les allemands. On voit mal comment ils pourraient accepter la mise en place de transferts substantiels qui se feraient à leur détriment.

La tribune de Varoufakis met en lumière deux aspects intellectuels et moraux du nouveau président : sa naïveté et son cynisme. On peut se demander si ce ne sont pas d’ailleurs là les deux principaux ressorts du vote Macron. Au terme d’une campagne présidentielle lunaire où la forme l’aura emporté sur le fond s’impose un candidat qui reflète les illusions et le cynisme de classes sociales ayant investi tout leur capital émotionnel et culturel dans une construction européenne aujourd’hui dans une impasse. Il est à parier que l’ombre de l’euro planera sur toute cette présidence qui, in fine, se terminera par un échec. Mais voilà, comme disait Madame du Barry devant la guillotine : « Encore une petite minute, Monsieur le bourreau ».