samedi 16 juillet 2016

Mon quart d’heure marxiste : l’égalité homme-femme et le développement économique


Dans son dernier livre The Rise and Fall of American Growth, Robert Gordon décrit magistralement l’évolution des conditions de vie aux Etats-Unis de 1870 à nos jours. En lisant l’ouvrage, on réalise que l’entrée dans le monde moderne est avant tout l’histoire d’une gigantesque transformation de la vie quotidienne au sein des foyers. La description de l’existence en 1870 fait ainsi froid dans le dos : absence d’eau courante, de tout à l’égout, précarité de l’éclairage et du chauffage… La vie familiale s’organise dans des conditions de dénuement et d’hygiène déplorables, le tout au milieu d’odeurs pestilentielles.

Ce qui frappe dans ce portrait est l’extrême pénibilité des activités domestiques : l’eau doit être cherchée à l’extérieur plusieurs fois par jour, puis sortie une fois usagée. Le chauffage, à base de bois, doit être en permanence entretenu, tout comme les lampes à pétrole. L’absence de magasins d’habillement fait peser tout le poids de la confection et de la réfection des habits sur les femmes du foyer. La maitresse de maison doit en outre s’occuper des enfants qui sont nombreux à mourir en bas âge. Dans un tel contexte, la femme est littéralement enchainée aux activités domestiques pendant que les hommes travaillent aux champs.

On retrouve ainsi dans l’univers agricole pré-moderne la même différentiation des taches entre les sexes qu’on rencontrait déjà du temps des chasseurs-cueilleurs paléolithiques. Pour rappel, la théorie traditionnelle explique la spécialisation des femmes dans l’activité de cueillette par le fait que cette tache est moins contraignante quand on doit également allaiter et s’occuper des enfants. Pris sous un angle « matérialiste », la spécialisation entre les sexes du paléolithique jusqu’à l’époque pré-moderne apparaît avant tout comme dictée par la survie. L’homme et la femme, réunis en foyer, forment une unité économique où les deux facteurs de production s’organisent en fonction de leurs avantages comparatifs respectifs.

En lisant l’ouvrage de Robert Gordon, on est frappé de voir que toutes les grandes révolutions de l’habitat (eau courante, tout à l’égout, électricité, chauffage central…) précèdent l’entrée de la femme sur le marché du travail. C’est entre 1890 et 1950 que ces innovations vont se répandre dans les foyers américains baissant la pénibilité des taches domestiques et ouvrant la voie à de nouvelles innovations tout aussi libératrices (lave-vaisselle, lave-linge…).

C’est la combinaison des gains de productivité dans les activités domestiques mais également une participation accrue des hommes dans la vie du foyer grâce à la baisse du temps de travail qui a permis un déversement massif des femmes sur le marché du travail dans la 2ème moitié du 20ème siècle, particulièrement dans les activités de service.

En remettant la trajectoire d’émancipation de la femme dans le cadre de l’évolution des contraintes matérielles, on réalise ainsi que cette émancipation semble s’être opérée de façon finalement assez naturelle et spontanée (aux Etats-Unis du moins). Malgré toutes les inégalités résiduelles qui peuvent encore exister, le monde moderne, par l’amélioration radicale de la vie domestique et la baisse de la pénibilité au travail qu’il a engendrées, est indissociable de l’essor de l’égalité homme-femme. En somme et pour paraphraser Marx, la superstructure contemporaine ne fait que refléter son infrastructure! ;)