Confrontés aux conséquences dévastatrices de la monnaie unique, nombreux sont les journalistes et économistes qui appellent à plus de
fédéralisme pour sortir de la crise « par le haut ». On propose de
mettre en place des mécanismes de solidarité financière entre pays européens
pour faciliter l’ajustement des pays en difficulté.
Dans le cadre du fédéralisme, on peut distinguer en gros trois grands domaines de solidarité financière :
- L’union bancaire : faire garantir l’ensemble des dépôts bancaires à hauteur d’un certain montant par les contribuables européens et mettre en place des mécanismes de solidarité entre Etats européens pour venir en aide aux banques en difficulté. L’idée est ainsi d’éviter l’explosion de la dette des Etats du sud de l’Europe, contraints de renflouer leurs banques.
- La mutualisation des dettes souveraines : fusionner les dettes de l’ensemble des Etats de la zone euro (les euro-obligations) pour permettre aux Etats fortement endettés de bénéficier de la garantie des Etats faiblement endettés de la zone, et ainsi de taux d’emprunt satisfaisants.
- Le budget fédéral : une fiscalité commune à l’ensemble des Etats qui permettrait ainsi la mise en place de politiques contracycliques en faisant financer, par exemple, les indemnités chômage d’un pays en difficulté par les autres pays de la zone.
Des trois, l’idée du budget fédéral est la plus difficile à
mettre en pratique car elle sous-entend un immense effort de convergence des
modèles économiques et sociaux au sein de la zone. Et oui, il est difficile de
faire accepter à un pays de subventionner des indemnités chômage ou des
pensions de retraites plus généreuses que les siennes. On voit déjà se profiler
ici une convergence qui se ferait au prix d’un nivellement par le bas
des modèles sociaux.
Les Etats de la zone ont donc commencé par la solidarité la
plus facile en théorie à organiser : celle de l’Union bancaire... en
prenant pour modèle le précédent du renflouement de Chypre en 2013… Pour ceux
qui s’en rappellent, ce renflouement avait pris des formes très inhabituelles.
Chypre étant un paradis fiscal, les Etats de la zone avaient refusé de
renflouer des banques dont les dépôts appartenaient à des oligarques russes. Une
confiscation des dépôts au-dessus de 100 000€ avait été organisée pour essuyer
les pertes et limiter le montant du renflouement au minimum. Ce choix avait
entrainé une panique bancaire et une fuite massive des capitaux rendant
nécessaire l’instauration en urgence de contrôles de capitaux.
En théorie, les mécanismes de solidarité au sein d’une union
bancaire visent précisément à éviter les paniques bancaires comme celle
provoquée à Chypre, c’est d’ailleurs la gestion calamiteuse du renflouement de
Chypre qui avait relancé le projet d’union bancaire… C’est donc très
naturellement que les pays de la zone ont instauré en 2014 une union bancaire
qui systématise les mécanismes de renflouement testés avec autant de succès à
Chypre… Ca ne s’invente pas…
Le mécanisme de résolution retenu consiste donc à
« rincer » le bilan de la banque avant toute mobilisation européenne
(les pertes sont d’abord essuyées par les actionnaires, les créanciers juniors
et les dépôts non garantis de la banque avant toute aide européenne). L’aide
européenne est en outre limitée à 5 Mds€, au-dessus de ce montant un vote des pays
de la zone euro est nécessaire, laissant planer le doute que d’autres
confiscations de dépôts soient nécessaires… Le tout est
« crédibilisé » par un fond de résolution de 55 Mds€ qui doit être
abondé par les banques européennes… d’ici 2025…
Un tel mécanisme est voué à provoquer le contraire de ce
pourquoi il a été mis en place. Par contre, il permet de limiter au minimum
l’exposition au risque d’un renflouement pour les Etats qui ne veulent pas
payer et c’est bien là le principal... Le projet fédéral revient à demander à
la région riche et bien portante (à savoir l’Europe du Nord et surtout
l’Allemagne) de porter à bout de bras le reste de la zone euro. On peut
comprendre que cette perspective ne les enchante guère.
Des économistes comme Patrick Artus et Jacques Sapir ont
fait des macro chiffrages des transferts fédéraux que l’Allemagne devrait
accepter pour que la zone euro soit viable en l’état. En prenant des hypothèses
très conservatrices et qui sont loin d’être exhaustives, les fourchettes
annoncées se situent entre 8 et 13% du PIB allemand. On demanderait donc à
l’Allemagne de verser chaque année l’équivalent d’au moins 10% de ses revenus
pour faire fonctionner la zone euro. Il est clair qu’entre son
appauvrissement et celui en cours des Etats du sud, l’Allemagne a choisi la 2ème
option.