dimanche 26 juillet 2015

Les premiers pas d’une impasse fédérale


Confrontés aux conséquences dévastatrices de la monnaie unique, nombreux sont les journalistes et économistes qui appellent à plus de fédéralisme pour sortir de la crise « par le haut ». On propose de mettre en place des mécanismes de solidarité financière entre pays européens pour faciliter l’ajustement des pays en difficulté.

Dans le cadre du fédéralisme, on peut distinguer en gros trois grands domaines de solidarité financière :
  • L’union bancaire : faire garantir l’ensemble des dépôts bancaires à hauteur d’un certain montant par les contribuables européens et mettre en place des mécanismes de solidarité entre Etats européens pour venir en aide aux banques en difficulté.  L’idée est ainsi d’éviter l’explosion de la dette des Etats du sud de l’Europe, contraints de renflouer leurs banques.
  • La mutualisation des dettes souveraines : fusionner les dettes de l’ensemble des Etats de la zone euro (les euro-obligations) pour permettre aux Etats fortement endettés de bénéficier de la garantie des Etats faiblement endettés de la zone, et ainsi de taux d’emprunt satisfaisants.
  • Le budget fédéral : une fiscalité commune à l’ensemble des Etats qui permettrait ainsi la mise en place de politiques contracycliques en faisant financer, par exemple, les indemnités chômage d’un pays en difficulté par les autres pays de la zone.

Des trois, l’idée du budget fédéral est la plus difficile à mettre en pratique car elle sous-entend un immense effort de convergence des modèles économiques et sociaux au sein de la zone. Et oui, il est difficile de faire accepter à un pays de subventionner des indemnités chômage ou des pensions de retraites plus généreuses que les siennes. On voit déjà se profiler ici une convergence qui se ferait au prix d’un nivellement par le bas des modèles sociaux.

Les Etats de la zone ont donc commencé par la solidarité la plus facile en théorie à organiser : celle de l’Union bancaire... en prenant pour modèle le précédent du renflouement de Chypre en 2013… Pour ceux qui s’en rappellent, ce renflouement avait pris des formes très inhabituelles. Chypre étant un paradis fiscal, les Etats de la zone avaient refusé de renflouer des banques dont les dépôts appartenaient à des oligarques russes. Une confiscation des dépôts au-dessus de 100 000€ avait été organisée pour essuyer les pertes et limiter le montant du renflouement au minimum. Ce choix avait entrainé une panique bancaire et une fuite massive des capitaux rendant nécessaire l’instauration en urgence de contrôles de capitaux.

En théorie, les mécanismes de solidarité au sein d’une union bancaire visent précisément à éviter les paniques bancaires comme celle provoquée à Chypre, c’est d’ailleurs la gestion calamiteuse du renflouement de Chypre qui avait relancé le projet d’union bancaire… C’est donc très naturellement que les pays de la zone ont instauré en 2014 une union bancaire qui systématise les mécanismes de renflouement testés avec autant de succès à Chypre… Ca ne s’invente pas…

Le mécanisme de résolution retenu consiste donc à « rincer » le bilan de la banque avant toute mobilisation européenne (les pertes sont d’abord essuyées par les actionnaires, les créanciers juniors et les dépôts non garantis de la banque avant toute aide européenne). L’aide européenne est en outre limitée à 5 Mds€, au-dessus de ce montant un vote des pays de la zone euro est nécessaire, laissant planer le doute que d’autres confiscations de dépôts soient nécessaires… Le tout est « crédibilisé » par un fond de résolution de 55 Mds€ qui doit être abondé par les banques européennes… d’ici 2025… 

Un tel mécanisme est voué à provoquer le contraire de ce pourquoi il a été mis en place. Par contre, il permet de limiter au minimum l’exposition au risque d’un renflouement pour les Etats qui ne veulent pas payer et c’est bien là le principal... Le projet fédéral revient à demander à la région riche et bien portante (à savoir l’Europe du Nord et surtout l’Allemagne) de porter à bout de bras le reste de la zone euro. On peut comprendre que cette perspective ne les enchante guère.

Des économistes comme Patrick Artus et Jacques Sapir ont fait des macro chiffrages des transferts fédéraux que l’Allemagne devrait accepter pour que la zone euro soit viable en l’état. En prenant des hypothèses très conservatrices et qui sont loin d’être exhaustives, les fourchettes annoncées se situent entre 8 et 13% du PIB allemand. On demanderait donc à l’Allemagne de verser chaque année l’équivalent d’au moins 10% de ses revenus pour faire fonctionner la zone euro. Il est clair qu’entre son appauvrissement et celui en cours des Etats du sud, l’Allemagne a choisi la 2ème option. 

lundi 20 juillet 2015

Le supplice de l’ajustement permanent



Un blogueur du Washington Post a sorti un bon papier vendredi qui met le doigt sur un point très important: l’euro est un enfer non seulement pour les pays du sud mais aussi pour les bons élèves du Nord…

Le cas de la Finlande est à cet égard emblématique (voir également Krugman sur le sujet) : le pays n’a pas eu de bulle du crédit et a connu une inflation très modérée au cours des années 2000. En revanche, il s’est vu fortement attaqué sur ses grandes spécialisations sectorielles : l’industrie du téléphone mobile et du papier. L’apparition des smartphones et le développement du paperless ont ainsi entamé la rentabilité des entreprises finlandaises ces dernières années.

La baisse des ventes des industries exportatrices finlandaises a eu pour conséquence de dégrader la productivité du travail. Les salaires ne s’étant pas réalignés en conséquent, cela s’est traduit par une hausse des coûts salariaux unitaires (les coûts salariaux ramenés à chaque unité produite).


En temps normal, il suffirait à la Finlande de déprécier immédiatement sa monnaie pour restaurer sa compétitivité. Dans le cadre de l’euro, la chose est désormais impossible. Cela se traduit par une langueur prolongée de l’économie finlandaise depuis la crise de 2008. Elle ne pourra en sortir qu’au prix d’une baisse douloureuse et lente du coût du travail et de réformes structurelles. Le pays est pourtant un apôtre de la rigueur avec un faible niveau d’endettement public et un déficit budgétaire sévèrement contrôlé.

Pour maintenir les taux d’inflation et les coûts de production en ligne, les économies de la zone euro sont contraintes de se soumettre en permanence au lit de Procuste des plans d’austérités et des réformes structurelles entrainant inévitablement un chômage de masse. La chute de l’article du Washington Post est bien trouvée : « L’euro est un Dieu capricieux, punissant aussi bien les pécheurs que les saints »

mercredi 15 juillet 2015

Les dynamiques politiques au sein de la zone euro


J’aimerais détailler un peu l’impact des problèmes évoqués dans mon post précédent sur les dynamiques politiques actuelles au sein de la zone euro.

Pour rappel, les principaux problèmes pour la stabilité de la zone sont :
  • Les différentiels d’inflation entre pays 
  • L’absence de solidarité réelle entre pays (en attendant d’être démenti)

Cela ne laisse comme seule variable d’ajustement pour rétablir la compétitivité d’un pays que le taux d’inflation. Variable d’ajustement très imparfaite puisque les pays n’ont plus le contrôle de leur politique monétaire. La seule façon d’essayer de piloter le taux d’inflation devient la politique budgétaire et les fameuses « réformes structurelles ». Des outils qui ne sont pas franchement prévus à cet effet...

Si un pays ayant perdu sa compétitivité veut retrouver des marges de manœuvre, il n’a d’autre choix que de mener une politique budgétaire totalement sadomasochiste et d’engager des réformes structurelles dont les effets sont incontrolables dans un contexte dépréssionnaire, le tout sans maitrise de l’environnement monétaire… Bref, autant traverser un champ de mine en courant les yeux bandés…

Mais ce n’est pas tout…

A cela vient s’ajouter l’épineux problème de la dette. Les pays peu compétitifs ont bénéficié de renflouements des autres pays de la zone sous forme de prêts. Les pays prêteurs entendent bien recouvrer la majeure partie de ces fonds et pour ce faire, avoir un droit de regard sur les réformes adoptées par les pays emprunteurs.

Il est clair que dans certains pays prêteurs, notamment en Allemagne et en Finlande, l’humeur générale n’est pas vraiment à faire des fleurs aux pays du sud mais plutôt à encourager les réformes les plus dures.

Cet état d’esprit est en outre aggravé par la propension de certains politiciens à transformer les problèmes structurels de la zone euro en une fable morale sur les tares des pays du sud. Plutôt que de reconnaitre que les responsabilités sont partagées par tous dans la crise actuelle, on balance tout le poids des responsabilités sur un groupe de pays. Une stratégie qui prépare le pire à terme…

A cet état d’esprit s’oppose la dynamique politique dans les pays du sud de l’Europe. Il est clair que les politiques d’austérité ont été conduites sans mandat populaire réel. Les scores électoraux des gouvernements de technocrates réformateurs comme ceux de Monti en Italie ou de Samaras en Grèce en sont de bons exemples.

Ces réformes ont souvent été imposées au prix de reniements électoraux, d’alliances politiques contre nature ou de coups de force (comme les évictions de Papandreou et de Berlusconi fin 2011 ou les blocus monétaires de Chypre et de la Grèce en 2013 et 2015) avec à la clé des résultats sociaux dévastateurs et un bilan économique très mitigé (prévisible étant donné les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre ces politiques). Les dégâts sur la scène politique ont été considérables. On voit bien que le point de rupture entre aspiration démocratique et ajustement structurel est atteint en Grèce et proche dans d’autres pays.

Malheureusement, l’ajustement est encore loin d’être terminé. Si les dynamiques politiques divergentes persistent ainsi, l’intégrité de la zone euro ne pourra sans doute se maintenir qu’au prix d’un autoritarisme de plus en plus marqué. Dans un tel contexte, discuter de modes d’ajustement plus raisonnables devient un impératif. 

Rétrospective sur la bulle pétrolière de 2008 : oui oui, bien sûr c’était les fondamentaux…



Pour ceux qui s’en rappellent, l’année 2008 a été marquée par une folle envolée des prix du pétrole, culminant en juillet 2008 à 148$ le baril. L’argument le plus courant était d’invoquer les déséquilibres structurels entre une offre stagnante et une demande en forte progression, constamment poussée par la croissance des pays émergents pour expliquer cet emballement des prix. Autrement dit, « circulez, il n’y a rien à voir ! »

Une version alternative était que les prix étaient décorrélés des fondamentaux et tirés à la hausse par des spéculateurs sur les marchés financiers. Dans le cas des marchés pétroliers, la « spéculation » désigne généralement le fait d’acheter des contrats à terme en espérant réaliser un gain sur l’appréciation des cours entre le moment de l’achat et celui de la revente du contrat.

Alors, y-avait-t-il une raison pour que les spéculateurs se ruent sur les marchés à terme précisément à cette période?

A l’origine d’une bulle spéculative, on trouve souvent un phénomène de « déplacement », c’est-à-dire l’apparition soudaine d’une nouvelle source de profit sur un marché, or c’est précisément ce qui a été observé sur les marchés pétroliers à la fin de juillet 2007 avec l’inversion de la courbe des prix à terme.

Dans le cas des marchés pétroliers, on distingue deux situations pour la structure des prix à terme.  La première est le contango : Les prix sont une fonction croissante de la maturité. On est donc en contango quand le prix du pétrole dans 3 mois est plus élevé que le prix du moment. Dans la situation inverse, le prix au comptant est plus élevé que les prix à terme, la courbe des prix est cette fois une fonction décroissante de la maturité : on dit alors que le marché est en backwardation.

Puisque un investissement dans les indices de matières premières se fait par l’acquisition de contrats à terme, la forme de la courbe des prix à terme a un impact direct sur la rentabilité du placement. En backwardation, au fur et à mesure que se rapproche l’échéance du contrat à terme, la convergence du prix à terme vers le prix au comptant entraine une plus-value qui vient s’ajouter à celle réalisée sur l’appréciation du prix du baril au cours de la période.

Or, après 30 mois de contango ininterrompu, la courbe des prix à terme sur les marchés pétroliers s’est inversée à la fin du mois de juillet 2007, augmentant substantiellement l’espérance de gain des investisseurs présents sur le marché :


Bon, que les investisseurs aient voulu profité des gains à faire sur les marchés à terme pétroliers semble être une hypothèse assez raisonnable. Voilà ce qu’on pouvait lire sur des blogs à cette période :

« I made a bit of a to-do about the commodities market in July when the oil market switched from contango to backwardation. I think the word I used was "Rejoice!" Finally, I said, it was safe for index investors to go back in the water.” Seekingalpha.com, 15 octobre 2007

 “Oil futures investing has gotten very, very interesting again.” Hardassetinvestor.com, 15 septembre 2007

Oui, mais que les spéculateurs aient voulu profiter de la hausse des prix ne prouve  pas qu’ils influencent directement les prix, n’est-ce pas ?

Oui, en théorie… mais c’est faire fi d’un certain nombre d’évolutions intervenues dans la formation des prix sur les marchés pétroliers, notamment le rôle croissant des marchés à terme dans la formation des prix. La preuve ?

Réinsérons l’évolution du cours du baril dans le cadre général de l’évolution des marchés financiers : La superposition de l’indice Nasdaq et du prix au comptant du baril WTI semble livrer des informations intéressantes. Historiquement ces deux courbes n’ont jamais été corrélées significativement ; elles n’ont d’ailleurs aucune raison de l’être.

La première représente l’évolution d’un panier de valeurs technologiques cotées en bourse, la deuxième l’évolution du prix du baril sur le marché physique de Cushing dans l’Oklahoma. L’évolution du Nasdaq est une fonction des anticipations des investisseurs et des spéculateurs sur l’évolution des résultats des entreprises qui composent l’indice. En principe, le prix au comptant du baril ne devrait être déterminé que par le rapport de force entre acheteurs et vendeurs sur le marché physique. Voilà ce qu’on constate quand on compare les 2 courbes au moment du retournement du marché pétrolier en 2008-2009 :


On peut raisonnablement en conclure que le pétrole est devenu un actif financier comme un autre.

lundi 13 juillet 2015

Distinguer la civilisation libérale de l’idéologie libérale


L’époque actuelle est propice à beaucoup de manichéismes. Il est ainsi fréquent d’opposer Hayek le libéral à Keynes l’Etatiste. Cette opposition est en fait assez superficielle. Keynes était de culture tout aussi libéral que Hayek. Je veux par-là dire qu’il partageait avec Hayek une même inclination pour défendre la liberté d’opinion et d’expression, le pluralisme politique et la libre entreprise. Bref, de façon générale, le droit, pour chaque personne, d’être emmerdée le moins possible dans sa vie quotidienne.

En fait, philosophiquement, Keynes et Hayek étaient presque des jumeaux. Cela transparait particulièrement dans la lettre que Keynes adressa à Hayek lors de la publication de son livre La route de la servitude (un livre pourtant très critiqué par les milieux universitaires anglais et américains à sa sortie) :

« In my opinion it (The Road to Serfdom) is a grand book. We all have the greatest reason to be grateful to you for saying so well what needs so much to be said. You will not expect me to accept quite all the economic dicta in it. But morally and philosophically I find myself in agreement with virtually the whole of it; and not only in agreement with it, but in a deeply moved agreement. »

Keynes ne disait pas ça par hypocrisie, il le disait parce qu’il le pensait profondément. Cela n’empêchait pas Keynes d’avoir des divergences radicales avec Hayek sur les conséquences concrètes de cette philosophie partagée.

Pour Hayek, toute forme d’intervention de l’Etat est vouée à perturber les mécanismes autorégulateurs du marché. Toute entrave au marché sous forme de groupes d’intérêts constitués ne fait que prolonger les difficultés économiques. Hayek est donc un « liquidateur » quelqu’un qui croit qu’il faut laisser le marché faire son œuvre quelles qu’en soit les conséquences économiques et sociales. De ce point de vue, malgré les choses remarquables qu’a pu écrire Hayek, cela fait de lui un idéologue libéral fou cinglé. Le problème d’être un « puriste » psycho-rigide…

Keynes au contraire était très conscient des imperfections de la vie quotidiennes, par exemple la rigidité des salaires à la baisse. Pour lui, il ne fait pas de doute que l’ordre libéral sécrète naturellement ses propres imperfections et ses groupes d’intérêts constitués (comme les syndicats) qui pour être supprimés comme le voudraient certains « libéraux » nécessiterait des politiques autoritaires et non libérales.

Tout le but est dans la mesure du possible de savoir vivre avec. Son cadre de réflexion consiste donc à proposer des solutions adaptées au contexte observé. Keynes, au contraire d’Hayek, est un esprit profondément pragmatique.

Sa Théorie générale s’inscrit dans cette démarche. Il préconise une solution adaptée au temps de tempête qu’est la Grande Dépression. L’interventionnisme qu’il préconise découle directement du fait qu’il constate l’inefficacité de l’approche liquidationniste et déflationniste proposée par les économistes de l’époque.

Il s’inquiète également de la capacité des corps sociaux et des régimes politiques à pouvoir digérer ces traitements de cheval. Son interventionnisme se veut donc avant tout comme une défense de l’ordre politique libéral.

Aujourd’hui, Il est franchement stupéfiant de voir comment, devant l’incapacité du réel à produire les effets espérés par leurs politiques, certains hommes politiques et économistes se réclamant du « libéralisme » sont prêts à tous les autoritarismes pour forcer les ajustements qu’ils estiment nécessaires.

Le champ de ruine que sont les économies et les scènes politiques de certains pays européens est à cet égard un exemple frappant.

vendredi 10 juillet 2015

La crise de la zone euro pour les nuls


Envie de comprendre la crise de la zone euro en 2 minutes ? Facile

L’origine de la crise :

En adoptant la monnaie unique, les pays de la zone euro ont accepté de partager un taux de change commun et une politique monétaire commune.

Manque de pot, les pays de la zone ont structurellement des taux d’inflation différents:


Les différences de taux d’inflation au sein de la zone euro sont le produit de la forte hétérogénéité des économies qui la composent : les pays ont des structures d’offre et de demande, des spécialisations sectorielles et industrielles, des traditions dans la gestion des relations sociales extrêmement différentes.

Dans le long terme, ces écarts d’inflation se traduisent par une divergence de compétitivité au sein de la zone avec des pays en fort excédent et d’autres en déficit : là où les prix allemand auront augmenté de 15% en 10 ans, ils auront augmenté de 35% en Espagne à taux de change constant. Cela veut dire une forte dégradation de la compétitivité prix de l'Espagne.


D’une façon ou d’une autre, ces déficits extérieurs doivent être financés. Cela s’est traduit par une forte hausse de l’endettement extérieur des pays peu compétitifs, posant à terme le problème de la soutenabilité de leur dette.

Le déclenchement de la crise :

Dans le sillage de la crise de 2008 et de l'aversion au risque qui en a résulté, les investisseurs ont progressivement pris peur des besoins de financement des économies de la zone euro pris au piège par leur manque de compétitivité.

Ils se sont alors débarassés de la dette des pays de la périphérie entrainant une explosion des taux d’intérêts sur leur dette. La BCE a contribué à aggraver le problème en ne jouant pas son rôle de prêteur en dernier ressort et en ne soutenant pas les dettes souveraines des pays attaqués.



Ces pays ont alors été privés d'accès aux marchés financiers pour financer leurs déficits et refinancers leurs dettes, rendant nécessaire des renflouements en urgence par les autres pays européens. 

Le traitement de la crise :

Si à l’origine de la crise il y a des différentiels d’inflation, la solution consiste à les supprimer. Pour ce faire, il faut soit que le pays ayant eu la plus faible inflation accepte d’avoir une inflation forte soit que les pays ayant eu une forte inflation accepte de mener des politiques de déflation pour ramener leur prix en ligne avec ce que leur compétitivité exige. Un mélange des deux est bien sur possible.

Malheureusement l’Allemagne a conservé une inflation extrêmement faible depuis le début de la crise, faisant ainsi porter tout le poids de l’ajustement sur les pays ayant eu une forte inflation.

Faire baisser les prix est la chose la moins naturelle du monde pour une économie. Ce phénomène est connu sous le nom de rigidité des prix et salaires à la baisse. Pour y arriver il convient de mettre en œuvre des politiques d’austérité extrêmes, inéluctablement génératrice d’un chômage de masse dans la phase d’ajustement.

Normalement, la solution la plus simple consiste à dévaluer sa monnaie. Solution impossible pour les pays de la zone euro.

L’ajustement pourrait également être facilité s’il existait des mécanismes de solidarité au sein de la zone euro, similaire à ce qu’on voit aux Etats-Unis : Aux US, quand un Etat se trouve en difficulté économique et financière, il bénéficie automatiquement de l’aide des autres Etats via le budget fédéral. Ainsi les chômeurs de Floride voient-ils leurs indemnités payées par les autres Etats.

Si de tels mécanismes étaient mis en oeuvre au sein de la zone euro, cela se traduirait par une baisse des coûts pour les pays les plus faibles et donc une meilleure compétitivité, gagnée au détriment des autres pays de la zone (qui verraient eux leurs coûts augmenter).

En zone euro, la « solidarité » a été limitée à l’octroi de prêts que les prêteurs espèrent bien recouvrer. On est très loin de voir des transferts budgétaires de l’Allemagne vers l’Espagne ou l’Italie.

A long terme, la question est posée de la capacité des corps sociaux à supporter cette politique d’ajustement draconienne. C’est cette question qui est mis au 1er plan depuis l’élection de Syriza.

La zone euro est actuellement à la croisée des chemins. La Grèce ne veut plus d’austérité mais l’austérité est la condition de maintien dans la zone euro, faute de solidarité entre pays.

Si la Grèce sort de la zone euro, les choses auront le mérite d’être claires aux yeux de tous. En zone euro, le faible porte tout le poids de l’ajustement et s’il refuse, il est invité à sortir. Sacré projet européen. Sans doute de quoi provoquer quelques réflexions… 

jeudi 9 juillet 2015

Un referendum pas légitime en Grèce?


On entend beaucoup l’argument « la question était trop compliquée et technique pour que les grecs puissent prendre une décision informée ». Cette argument est beaucoup utilisé par les euro-béats pour expliquer que le referendum en Grèce n’a aucune légitimité.

Cette proposition est franchement d'une grande malhonnêteté :
·         En 58, quand de Gaulle demande l’avis du peuple français sur la nouvelle constitution, croit-on sérieusement que les français soient des experts en droit constitutionnel ?
·         De même quand Mitterrand soumet le traité de Maastricht au referendum pense-t-on que les français connaissent et comprennent en détail chaque article du texte ? 

Pour autant demander l’avis au peuple n’a-t-il aucune utilité ?
Bien sûr que non. Derrière le referendum se cache en fait une question et une décision sur des principes de fond, souvent très simples à comprendre. Le vote légitime ou non ces principes.

En 58, la question véritable posée par de Gaulle était « pensez-vous que les principes (exécutif fort,  fin des coalitions parlementaires à la proportionnelle) sur lesquels j’ai voulu construire cette constitution permettront de répondre aux maux politiques du pays ? ». Ce fut un plébiscite

En 92, la question véritable était « êtes-vous prêts à faire un saut vers un début de fédéralisme européen ? » La victoire à l’arraché du oui aurait dû faire comprendre aux élites qu’elles avançaient sur une glace très fine et que la plus grande prudence était de mise. On a vu ce que ça a donné par la suite...

Dans le cas de Tsipras, la question était extrêmement simple. Il a été élu sur la promesse de réduire l’austérité en obtenant un haircut sur la dette tout en restant dans l’euro. Il revient vers le peuple en demandant « Je n’ai pas réussi à obtenir ce que nous voulions. Voulez-vous que je retourne affronter les créditeurs en persistant sur cette ligne avec les risques et dangers que cela comporte ou devons-nous nous coucher ? »

La vraie question est celle qui n’est pas directement formulée. Le referendum (ou d’ailleurs une simple élection) est perdu ou gagné en fonction de la question implicite que vont y voir les électeurs. Erdogan a ainsi récemment perdu sa majorité absolue en Turquie. La vraie question qu’y était en fait posée lors de l’élection législative était : « me donnerez-vous la majorité absolue dont j’ai besoin pour changer la constitution et crée un régime présidentiel fort ? ». Les électeurs ont jugé autrement. De même en 2012, la vraie question de l’élection était : « pour ou contre Sarkozy ? »

En 2005, le texte constitutionnel proposé était en fait composé de 2 éléments. 1) Une synthèse des anciens traités dont l’essentiel n’avait pas été soumis à referendum 2) une série d’avancées en matière d’intégration politique. Pour les électeurs, la question perçue a été : « Soutenez-vous ce que nous avons fait jusque-là ? Acceptez-vous que nous poursuivions plus loin dans cette voie ? » La réponse a été cinglante. En disant non, les français repoussaient à la fois la méthode (déficit démocratique et opacité dans les prises de décisions précédentes) et le fond (l’obsession de la concurrence libre et non faussée transparaissant dans de nombreux articles du texte).

Disqualifier la décision démocratique sous prétexte que la décision à prendre ou le texte à juger sont trop complexes est particulièrement fallacieux. Il cache en fait une volonté de ne pas avoir de compte à rendre. C’est ainsi que VGE, amer d’avoir perdu le referendum de 2005, estime désormais que les sujets européens sont trop compliqués pour être soumis aux électeurs. C’est en fait la sortie de la démocratie qui est ainsi théorisée.

De nombreux chroniqueurs ont également dit que les électeurs avaient voté non en 2005 car Chirac était impopulaire, peu importe que les sondages d’opinion montraient parfaitement que les français avaient très bien dissocié les 2 sujets. Quand on n’aime pas la réponse, tous les prétextes sont bons pour délégitimer le fait même de poser la question…

Mondialisation et mouvements sociaux


Depuis 2008 on a vu apparaitre dans de nombreux pays une série de mouvements de révolte spontanés se formant en dehors du cadre traditionnel des partis politiques (remise en cause du style de vie laïque en Turquie, révolte contre la vétusté des moyens de transport au Brésil, révolte contre la réforme du système éducatif au Québec, Tea Party, Occupy Wall Street, les Indignados…).

On est frappé par la forte hétérogénéité idéologique de ces mouvements apparaissant pourtant à quelques mois ou années d’intervalle. Ils apparaissent en outre dans des pays ayant des situations économiques et sociales très différentes. Les révoltes et révolutions du XIXème  étaient de ce point de vue beaucoup  plus homogènes : naissance des nationalismes, éveil du prolétariat, aspiration aux droits de l’homme...
Pourtant, on sent confusément que ces mouvements ont de nombreuses similitudes, notamment dans le sentiment de ras-le-bol généralisée des classes moyennes par rapport à leurs élites politiques et économiques. Les causes profondes de ce malaise sont sans doute à chercher dans les conséquences sociales de la crise de 2008 et de la mondialisation.

Le pitch :

Grace à la mondialisation, certains privilégiés ont accumulé beaucoup plus de richesse et de pouvoir que le reste de la population (même là où des classes moyennes importantes se sont formées au cours de la période)

Cela a résulté dans un phénomène d’oligarchisation renforcée, notamment des classes politiques. Ce phénomène d’oligarchisation a également contribué au développement d’une mentalité de caste des élites mondialisées (l’esprit de Davos, etc…)

Cela se traduit par une prise de décision des pouvoirs politiques se faisant souvent pour le compte d’intérêts minoritaires mais puissants, se faisant dans un cadre intellectuel de référence des élites politiques de plus en plus éloignées des valeurs spécifiques des sociétés qu’elles gouvernent, le tout saupoudré d’un sentiment d’impunité et de toute puissance de plus en plus fort de la part des élites.

Vient un moment où cette évolution de la prise de décision des pouvoirs politiques vient se heurter à des valeurs culturelles profondément ancrées dans  les sociétés où ont lieu ces révoltes (un certain sens de la justice sociale au Canada, aux US et en Espagne, de mode de vie en Turquie, etc…)

Les classes moyennes finissent par se dire que tout se fait en dehors de leur contrôle, qu’on touche à des aspects essentiels du vivre ensemble sans leur demander leur avis, que les élites ne font qu’en fonction de l’intérêt d’une minorité, que la politique est dévoyée, etc…

En résumé, il s’agirait d’une révolte des classes moyennes éduquées (parfois peu ou très aisée) pour des motifs aussi bien de gauche que de droite, sur fond d’une oligarchisation  renforcée de la vie politique et économique sous l’effet de la globalisation

Aux origines du malaise économique français


On entend souvent dire que la France n'a jamais su réformer son Etat et diminuer son poids dans l'économie. C'est sans doute très vrai. Mais une fois qu’on a dit ça, il est important de se demander pourquoi le pays a été irréformable sur ce point au cours des 30 dernières années.

Il y a pas mal d’exemples de pays ayant réussi à mener des politiques de réduction du poids de l’Etat et d’assainissement financier avec à la clé une vraie reprise saine et durable. Je donnerai les plus couramment cités : le Danemark, l’Irlande et le UK dans les 80s, le Canada, la Finlande et la Suède dans les 90s (voir le blog de Paul Krugman pour plus de détails: http://krugman.blogs.nytimes.com/2010/06/18/fiscal-fantasies-2/)

Ce qu’il est important de noter c’est que toutes ces expériences réussies ont un (énorme) point commun souvent chastement passé sous silence : la politique monétaire menée au moment de la mise en place de cette politique. Pour tous ces exemples, la forte réduction du poids de l’Etat a été compensé par une politique de la banque centrale pour 1) soit baisser fortement les taux d’intérêt 2) soit dévaluer la monnaie. En faisant ça, le résultat est toujours invariablement le même : la baisse des dépenses de l’Etat est contrecarrée par une reprise de l’investissement (baisse des taux d’intérêt) ou des exportations (dévaluation), souvent les 2. En bref, les résultats de la politique monétaire expansionniste (baisse des taux + dévaluation) accompagne de façon cohérente les objectifs de la politique d’austérité (qui elle aide à contrecarrer les risques inflationnistes), tout en atténuant ses effets sociaux.

Depuis 1983, la France mène une politique d’austérité monétaire (sado-monétariste pour certains…). Le pompon a été atteint au début des années 90s quand l’Allemagne a augmenté ses taux d’intérêt à des niveaux historiques pour contrecarrer les risques inflationnistes liés à la réunification. Jean-Claude Trichet (déjà lui…) n’a rien trouvé de mieux que d’augmenter les taux de la banque de France pour maintenir la parité du franc et avec le DM (qui lui-même s’appréciait fortement). Résultat : un déficit record et une explosion de la dette publique qui ont péniblement permis de limiter le chômage à 12%.

Globalement, entre la politique du franc fort, de marche à l’euro puis la politique de Trichet à la tête de la BCE (en 2008 l’euro s’échangeait quand même pour la bagatelle d’1,6$...), il est difficile de concevoir comment une politique axée sur l’offre aurait pu se traduire par autre chose qu’un désastre économique et social (il y a eu une fenêtre de tir fortuite sous Jospin au moment de la reprise de 98, bon… on a préféré faire les 35h à la place…et aggraver lourdement la situation…). 

Une grande partie de la paralysie du pays vient sans doute de là. Les effets de la politique monétaire sont d’autant plus pernicieux que la plupart des gens ne les comprennent pas et les sous-estiment largement. Après on a l’impression que c’est la faute du voisin, des syndicats, des gens de droite ou de gauche, que les français sont justes ingouvernables, etc… alors qu’en fait pèse sur l'économie une véritable chape de plomb monétaire.

De là à dégager les marges de manœuvre nécessaires pour mener les réformes nécessaires et obtenir des résultats tangibles, il me semble qu’on en a toujours été très loin… Ma conviction profonde est que quand on veut assainir les finances et diminuer le poids de l’Etat, c’est très difficile de réussir dans un contexte de monnaie surévaluée, ce qui est en gros l’histoire de la France des 30 dernières années.

La stagnation séculaire


En gros, il y a un débat démarré à la fin de 2013 parmi les économistes américains sur la notion de « stagnation séculaire » (voir l’article de Paul Krugman sur le sujet : http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/11/16/secular-stagnation-coalmines-bubbles-and-larry-summers/)

Je vous en donne un bref résumé ci dessous avec une interprétation « maison » :

1.       La pente de croissance de l’économie US a été relativement stable depuis les années 30s et la Grande dépression…


2.       Le problème c’est que depuis les années 80s cette croissance ne semble s’être maintenue que par un cycle de bulles à répétition et un endettement concomitant de l’ensemble des acteurs économiques…


3.       Cet accroissement de la dette et ces bulles à répétition paraissent nécessaires pour avoir une demande suffisante pour permettre le quasi-plein emploi aux US (sinon l’économie serait en permanence en état de récession larvée). Le malaise a été grandissant au cours des années 2000 où la bulle des subprime (la plus grosse bulle US so far) a péniblement réussi à ramener l’économie américaine à son niveau de presque plein emploi (se rappeler le débat sur la jobless recovery au début de l’ère Bush fils…)

4.       Aujourd’hui on voit clairement que la dynamique apparue au début des années 80s est complètement grippée. La reprise US (pourtant la plus vivace des pays développés…) est la plus faible depuis l’après-guerre 


5.       De mon point de vue, la cause derrière ce besoin d’endettement pour maintenir le taux de croissance de l’économie américaine est sans doute à chercher du côté de l’explosion des inégalités au cours des 30 dernières années. La propension des riches à consommer étant moins forte que les pauvres, l’explosion du revenu des 1% (et même des 0,1%) aux US, se traduit par une stagnation de la demande comblée par un endettement progressif des ménages modestes (origine des subprimes). Le retard du salaire médian par rapport aux gains de productivité dans la période récente est à cet égard éloquent!


6.       Ce qui est très étonnant dans le débat américain c’est que les économistes font comme si l’origine profonde de tout cela était un peu mystérieuse. On évoque l’impact de la stagnation démographique sur les besoins d’investissement pour expliquer la faiblesse de la demande, etc… Les infrastructures US sont pourtant dans un état de délabrement et auraient besoin d’investissements massifs mais c’est pas grave…


Pour un lecteur français ce débat est en fait assez familier puisque ça fait maintenant plus de 15 ans que Todd avait publié son essai sur la stagnation des sociétés développées (L'illusion économique)

Il avait très bien diagnostiqué le problème en montrant que la mondialisation (liberté de circulation des capitaux et des marchandises avec des pays ayant des niveaux de salaire x20 inférieurs) créait à la fois un problème d’offre (on est jamais assez compétitif par rapport aux salaires chinois, quelques soient les efforts) et de demande (qui consomme si on fait stagner les salaires des classes moyennes pour rester compétitif?) pour les pays développés.

Il est d'ailleurs important de souligner que tous les pays développés vont mal aujourd’hui. On dit souvent que la France est un pays en faillite pourtant quand on compare l’endettement global de l’économie française on se rend compte que le pays est fairly in line avec la moyenne des pays développés. 

Cela dit, la situation est en train de fortement s’aggraver aujourd’hui du fait du piège que représente la zone euro pour les économies qui ont eu des taux d’inflation structurellement plus élevés que l’Allemagne. Piège aggravé par le refus de l’Allemagne d’avoir une inflation plus forte que ses voisins (la seule variable d’ajustement devenant alors la déflation c’est-à-dire la destruction méthodique du tissu économique. Tout un programme…).