samedi 24 octobre 2015

L’économie du partage ou l’économie de la débrouille et du recyclage


Il est très « hype » en ce moment de parler de « l’économie du partage » et de la révolution du peer-to-peer. Covoiturage, crowdfunding, mise en commun des savoirs… Certains voient même venir la fin du capitalisme et l’avènement d’une société nouvelle. Alors, cherche-t-on encore à nous faire passer des vessies pour des lanternes ?

Tout d’abord, comme l’a très bien relevé Frances Coppola, dans la plupart des exemples couramment cités, le terme « partage » est un langage très mensonger puisqu’il y a en fait une transaction financière entre les deux partis. On est loin d’un échange désintéressé. On pourrait également dire de même avec le terme « peer-to-peer ». Dans le cadre du crowdfunding par exemple, on a affaire à un marché où il n’y a pas d’égalité réelle entre les deux partis : il y a un prêteur et un emprunteur. Le terme « peer-to-peer » permet de dissimuler habilement cette asymétrie fondamentale.

Ce que font ces plateformes, c’est essentiellement favoriser la vente (e-bay), le prêt d’actif (AirBnB) ou la réalisation d’une prestation de service (blabla car) entre particuliers, le tout contre rémunération. Ce sont avant tout des marchés du recyclage et de la débrouille. Si on veut voir le verre à moitié plein, on peut considérer que la création de ces marchés secondaires contribue à une meilleure utilisation du capital existant et donc à réduire les gaspillages. Si on veut voir le verre à moitié vide, on notera qu’une économie où se développent de tels marchés renvoie plutôt l’image d’une économie stagnante où la débrouille se développe pour faire des économies ou combler les fins de mois.

Alors, tout cela est-il vraiment révolutionnaire ? Quand on parle de l’essor du peer-to-peer, j’aime bien rappeler que cela n’est que l’aboutissement d’un long processus commencé depuis les années 70s : celui de l’effondrement progressif des coûts de transaction sous l’effet de la révolution des nouvelles technologies (lire l’excellent livre de Jean-Jacques Rosa sur le sujet).

Pour que des échanges économiques puissent avoir lieu, il faut que toute une série de conditions soient réunies (sécurité des biens et des personnes, Etat de droit, coût des transport, accès à l’information…). C’est l’état de ces conditions qui rend possible ou non la réalisation de transactions par les acteurs économiques. Les nouvelles technologies en facilitant considérablement l’accès à l’information ont contribué (parmi d’autres facteurs) à fortement abaisser les coûts de transaction. Un monde aux faibles coûts de transaction est un monde où le « petit » est favorisé par rapport au « gros » qui, lui, a tous ses coûts de structure à supporter. On vit donc une époque où s’estompe le monde « vertical » des grandes hiérarchies au profit du monde « horizontal » des relations de marché.

Incontestablement, internet a donné une nouvelle dimension à la baisse des coûts de transaction et a ainsi permis l’essor de l’univers du peer-to-peer. Mais il ne faut pas se leurrer : pour avoir quelque chose à vendre ou à échanger, faut-il encore l’avoir produit. Et la production reste toujours l’apanage du monde des entreprises, petites ou grandes. L’univers du peer-to-peer reste avant tout un marché de l’occasion. Il est difficile de penser qu’il puisse porter une révolution aussi profonde que certains nous l'annoncent. 

samedi 17 octobre 2015

Les nouvelles camisoles en préparation : les traités de partenariat transpacifique et transatlantique


On aurait pu croire que face au discrédit croissant qui les frappe, les élites politiques des pays développés auraient tenté de répondre aux causes profondes de ce discrédit ou au moins qu’elles se seraient montrées plus prudentes face au mécontentement profond des populations. Malheureusement, force est de constater qu’il n’en est rien et que c’est même tout le contraire. S’appuyant sur le même logiciel intellectuel qui a provoqué ces tensions, elles continuent imperturbablement de pousser le même agenda politique. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

L’épisode en cours sur les nouveaux traités de partenariat pacifique et transatlantique en est une illustration parfaite. De quoi s’agit-il au juste ? Depuis la fin de la 2nde guerre mondiale, les droits de douane entre pays ont progressivement été abaissés dans le cadre des cycles de négociation menés sous l’égide du GATT puis de l’OMC. Aujourd’hui, les droits de douane sont extrêmement bas partout sur la planète. Les dernières barrières restantes au libre-échange sont souvent des barrières « non-tarifaires », c’est-à-dire les différences de normes et de régulations (sanitaires, sécuritaires, de propriété intellectuelle…) entre pays. Le but des accords est donc de « niveler » le terrain normatif et réglementaire et d’assurer les conditions du maintien d’une « saine » concurrence. Il n’y a pas besoin d’être un grand technicien pour comprendre qu’il s’agit là de nouvelles camisoles en préparation pour la souveraineté des Etats.

Un autre problème tient à la façon dont ont eu lieu les négociations, très révélatrice du malaise démocratique contemporain. Elles ont été organisées dans le plus grand secret avec une visibilité minimum sur le contenu des discussions, y compris pour les représentants des parlements nationaux. Comme l’a pointé du doigt Elizabeth Warren, 85% des personnes participants aux négociations sont des membres des grandes multinationales ou des lobbyistes. C’est avant tout à leur profit que sont négociés ces traités. Joseph Stiglitz a ainsi souligné que les discussions visant à renforcer la propriété intellectuelle relevaient plus d’une volonté de sécuriser des positions acquises et des rentes que d’améliorer la vie des citoyens ou des consommateurs.

Les défenseurs de l’accord ont soutenu que le traité comprenait des clauses très ambitieuses en matière de régulation du dumping social. Ce fut l’occasion pour la sénatrice du Massachussetts de publier un rapport cinglant faisant l’inventaire des clauses similaires dans les traités précédents qui n’ont jamais été respectées. Il n’y a aucune garantie que ce sera le cas avec ces nouveaux traités. Par contre, il semble que les Multinationales se soient donné les moyens de défendre leurs intérêts avec la mise en place d’un mécanisme de règlement des différents entre investisseurs et Etats. Elles seront ainsi mises sur un pied d’égalité avec des Etats souverains et pourront les attaquer auprès de tribunaux d’arbitrage supranationaux quand elles s’estimeront lésées par la politique de l’un d’entre eux.

La guerre entre la souveraineté des peuples et les intérêts constitués des élites mondiales n’en est décidément qu’à ses débuts.