Tout d’abord, comme l’a très bien relevé Frances Coppola, dans la plupart des exemples couramment cités, le terme « partage » est un langage très mensonger puisqu’il y a en fait une transaction financière entre les deux partis. On est loin d’un échange désintéressé. On pourrait également dire de même avec le terme « peer-to-peer ». Dans le cadre du crowdfunding par exemple, on a affaire à un marché où il n’y a pas d’égalité réelle entre les deux partis : il y a un prêteur et un emprunteur. Le terme « peer-to-peer » permet de dissimuler habilement cette asymétrie fondamentale.
Ce que font ces plateformes, c’est essentiellement favoriser la vente (e-bay), le prêt d’actif (AirBnB) ou la réalisation d’une prestation de service (blabla car) entre particuliers, le tout contre rémunération. Ce sont avant tout des marchés du recyclage et de la débrouille. Si on veut voir le verre à moitié plein, on peut considérer que la création de ces marchés secondaires contribue à une meilleure utilisation du capital existant et donc à réduire les gaspillages. Si on veut voir le verre à moitié vide, on notera qu’une économie où se développent de tels marchés renvoie plutôt l’image d’une économie stagnante où la débrouille se développe pour faire des économies ou combler les fins de mois.
Alors, tout cela est-il vraiment révolutionnaire ? Quand on parle de l’essor du peer-to-peer, j’aime bien rappeler que cela n’est que l’aboutissement d’un long processus commencé depuis les années 70s : celui de l’effondrement progressif des coûts de transaction sous l’effet de la révolution des nouvelles technologies (lire l’excellent livre de Jean-Jacques Rosa sur le sujet).
Pour que des échanges économiques puissent avoir lieu, il faut que toute une série de conditions soient réunies (sécurité des biens et des personnes, Etat de droit, coût des transport, accès à l’information…). C’est l’état de ces conditions qui rend possible ou non la réalisation de transactions par les acteurs économiques. Les nouvelles technologies en facilitant considérablement l’accès à l’information ont contribué (parmi d’autres facteurs) à fortement abaisser les coûts de transaction. Un monde aux faibles coûts de transaction est un monde où le « petit » est favorisé par rapport au « gros » qui, lui, a tous ses coûts de structure à supporter. On vit donc une époque où s’estompe le monde « vertical » des grandes hiérarchies au profit du monde « horizontal » des relations de marché.
Incontestablement, internet a donné une nouvelle dimension à la baisse des coûts de transaction et a ainsi permis l’essor de l’univers du peer-to-peer. Mais il ne faut pas se leurrer : pour avoir quelque chose à vendre ou à échanger, faut-il encore l’avoir produit. Et la production reste toujours l’apanage du monde des entreprises, petites ou grandes. L’univers du peer-to-peer reste avant tout un marché de l’occasion. Il est difficile de penser qu’il puisse porter une révolution aussi profonde que certains nous l'annoncent.