samedi 23 avril 2016

Les avantages comparatifs de Ricardo et la prose de Monsieur Jourdain


Beaucoup d’observateurs ont noté que la bonne performance de Bernie Sanders et Donald Trump dans la campagne électorale américaine avait un lien avec leurs attaques contre la politique libre-échangiste pratiquée ces dernières décennies par les Etats-Unis. Cela a enfin permis l’émergence d’un débat sur le sujet Outre-Atlantique, débat qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps si les médias et les classes dirigeantes ne s’étaient pas spécialisés dans la récitation de poncifs éculés sur le sujet. Pour faire court et en caricaturant à peine : « Le protectionnisme, synonyme d’une autarcie frileuse qui porte en germe l’appauvrissement de tous et un retour aux heures les plus sombres de l’histoire».

Poser le débat ainsi, comme une prétendue opposition entre autarcie et ouverture, est le meilleur moyen de passer à coté des questions qui devraient susciter un débat légitime et de bonne foi. Clarifions donc un point : s’interroger sur les conséquences du libre-échange ne veut absolument pas dire que l’on nie la validité des points théoriques sur lesquels il s’appuie. Prenons par exemple la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, la plus connue des théories libre-échangistes.

Les économistes aiment à dire que cette théorie est contre-intuitive et souvent mal comprise. On peut franchement s’en étonner. Ricardo ne dit que la chose suivante : si toutes les unités de production (comprendre des pays), y compris les plus nulles, se spécialisent dans les activités où elles sont relativement moins mauvaises, le niveau de richesse global sur la planète augmentera. Bon… On ne peut que s’incliner devant cette sage tautologie...

L’humanité, tel Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, n’a d’ailleurs pas attendu Ricardo pour mettre en œuvre le principe des avantages comparatifs. La spécialisation des unités de production est aussi vieille que l’homme lui-même et on la retrouve dès l’époque des chasseurs-cueilleurs (par exemple avec une différenciation des taches entre les sexes).

Le problème, c’est qu’une fois qu’on s’est accordé sur la validité théorique des avantages comparatifs, on n’a en fait rien dit. En effet, les avantages comparatifs d’un pays ne sont pas innés, ils se construisent et évoluent dans le temps. Se pose également la question des « bonnes » ou des « mauvaises » spécialisations : il y a des secteurs « porteurs » et d’autre en déclin. Enfin, la spécialisation implique un redéploiement des ressources de production entre secteurs, cela ne se fait ni d’un claquement de doigt ni sans heurts et problèmes sociaux. Commencer à s’interroger sur ces points conduit immanquablement à s’interroger sur les gains réels du libre-échange et sur le rôle que doit jouer l’Etat pour soutenir le développement économique.

Tout comme les décollages industriels de la fin du XIXème (Etats-Unis, Allemagne, Japon), la formidable réussite des pays asiatiques ces dernières décennies n’a rien à voir avec la magie d’un libre-échange « subi ». Cette réussite a été construite par des Etats ultra-interventionnistes qui ont eu recourt à une palette extrêmement large d’instruments dont la plupart relèvent de la trousse à outils « protectionniste ». A l’opposée de cette approche se trouve celle de l’Union Européenne qui a gravé dans le marbre le principe de la concurrence « libre et non faussée », c’est à dire le principe de la non intervention de l’Etat et du libre-échange subi. Hélas, les exemples de libre-échange subi n’augurent rien de bon pour l’avenir de l’Union Européenne et de ses habitants. On ne s’étonnera pas que l’Europe soit devenue le symbole de l’impotence et de l'incurie universelles.